Ethan Hawke en impose dans The Good Lord Bird

Hawllelujah !

Pour sa première création télé, Ethan Hawke adapte The Good Lord Bird, le roman de James McBride, qu’il transforme en mini-série déjantée et pertinente sur un épisode méconnu, mais décisif, de l’histoire américaine. Dans la peau de John Brown, figure ambiguë des origines de l’abolitionnisme, l’acteur/showrunner impressionne.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

The Good Lord Bird

Bande-Annonce

Après HBO avec Watchmen et Lovecraft Country, c’est au tour d’une autre chaîne du câble américain, Showtime, de poursuivre la relecture de l’histoire noire américaine par le genre. Dans The Good Lord Bird, qui débarque en France le 7 janvier sur Canal+, le western succède au fantastique et à la fantasy pour revenir sur les événements qui ont déclenché la Guerre de Sécession. Et sur une histoire en particulier, celle de John Brown, leader de l’abolitionnisme américain, qui en appela à l’insurrection armée pour faire cesser l’esclavage, et fut le premier Américain condamné à mort pour trahison. Illuminé, héros, terroriste, humaniste, fanatique sanglant ou martyr visionnaire… La perception de Brown n’a cessé de changer à travers le temps. Une figure historique aussi controversée, si formidablement romanesque, avait tout pour devenir un personnage de fiction : c’est chose faite en 2013 avec la parution de The Good Lord Bird, de l’écrivain James McBride, qui retrace le parcours de John Brown à travers le regard d’un jeune garçon embarqué dans l’épopée abolitionniste.

Développée par Ethan Hawke dans le giron de la filiale télé de Jason Blum (d’où était déjà sortie Sharp Objects), et co-dirigée par Hawke et l’auteur Mark Richard, la mini-série adopte le schéma narratif du roman, prenant à bras le corps la complexité de John Brown et celle de son époque. Et c’est peu dire que l’acteur-créateur mouille la chemise. Barbe et cheveux hirsutes, yeux bleus translucides écarquillés, une main sur la bible et l’autre sur son Colt, il incarne le prosélyte kamikaze avec une fièvre impressionnante, et sa performance habitée finira de convaincre les sceptiques, s’il en reste, qu’il est l’un des meilleurs (si ce n’est le meilleur) comédiens de sa génération. Il faut dire que John Brown lui-même, adepte des éructations autant que des prières sans fin, capable de compassion comme de la plus grande sauvagerie, est un modèle d’actorat. Sans sombrer dans le cabotinage, Ethan Hawke extrait toutes les nuances de ce trublion qui en montrait peu dans ses diatribes, descend dans les tréfonds d’un esprit contrasté et tourmenté, et trouve son John Brown, entre le pasteur zélé et le gourou dingo. La fascination qu’il exerce sur les autres protagonistes, comme sur nous spectateur, restitue la puissance historique qui a pu être celle de Brown, dont l’incroyable influence ne pouvait être qu’à la hauteur de son extraordinaire échec.

« The Good Lord Bird a bien compris qu’avec un tel personnage, elle ne pouvait pas faire dans la demi-mesure. »

The Good Lord Bird a bien compris qu’avec un tel personnage, elle ne pouvait pas faire dans la demi-mesure. Mais pour ne pas réduire sa complexité à des effets de manche, elle se fait un devoir d’être à la fois excessive et réfléchie, pleines de facettes, aussi bigarrée et enthousiaste que son sujet. Formellement, par exemple, en injectant d’autres genres au western prédominant. Du film de guerre, du vaudeville, un air de Monty Python par-ci, un autre des frères Coen par-là… Tout se croise et se mélange avec grâce et drôlerie, sans jamais se moquer, le but n’étant pas de tourner cette histoire en dérision. Ce caractère protéiforme se retrouve dans le traitement du vrai protagoniste de l’histoire, Henry « Échalote » Shackleford, un adolescent qui intègre les troupes de Brown un peu malgré lui. Lui aussi est un être multiple, à la fois noir et blanc car régulièrement décrit comme « mulâtre », mais aussi homme et femme, Brown et ses pairs le prenant dès le début pour une jeune fille et l’habillant comme telle.

Ce décalage du point de vue est bienvenu, car il permet d’éviter le simple récit hagiographique, même si le roman et la série ont clairement fait le choix d’adouber John Brown en tant que figure pionnière. La naïveté du regard d’Échalote, et la manière dont il évolue, accompagnent un spectateur en quête de repères dans une époque encombrée par la foi (faussement inclusive) et les lois (injustes). Faire du jeune garçon (interprété par le nouveau venu Joshua Caleb Johnson) le centre de la narration permet aussi de s’attarder sur la véritable condition noire de ce milieu du XIXe siècle à travers les yeux du concerné, et non de ceux du « sauveur blanc ». La série utilise d’ailleurs l’expression « white savior » de manière anachronique, comme pour renforcer la connotation contemporaine de son portrait d’une Amérique déchirée, où la frontière entre bien et mal, les notions de méchant et gentil, sont bien moins aisées qu’on voudrait bien le croire. À l’image d’Échalote et de ses couches d’identité superposées, à l’image de Brown dont le nom de famille lui-même est à la croisée de deux couleurs, The Good Lord Bird, ni noire ni blanche, se garde bien de prêcher une vérité unique, mais ne doute jamais de la légitimé du combat.

The Good Lord Bird, à partir du 7 janvier sur Canal+

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