Superman and Lois sur The CW

Loïs Lane, la (super) héroïne qui revenait de loin

Et si Loïs Lane était aussi iconique que son mec ? Incomprise et sous-estimée, la partenaire féminine de Superman a pourtant toujours su tirer son épingle du jeu. Alors qu’une nouvelle série, Superman and Lois, remet en scène le célèbre couple, on revient sur les hauts et les bas de ce personnage galvanisant.

Par Yaële Simkovitch

Temps de lecture 10 min

Superman and Lois

Bande-Annonce

Superman and Lois, la énième exploration du couple le plus célèbre de l’histoire des comics, a démarré en février sur le network américain The CW. Créée par Todd Helbing et Greg Berlanti, ce septième opus du Arrowverse (l’univers fictif partagé des super-héros de la chaîne) joue la carte du drame familial rural, transplantant les tourteraux, à présent mariés et parents de teenagers, à Smallville, la ville fictive du Kansas où a grandi le super-héros. Un retour au pays natal pour rafraîchir une mythologie éculée ? Superman and Lois nous donne en effet l’occasion de découvrir nos héros sous un nouvel angle, celui de la normalité de la vie conjugale. Mais la vraie promesse de la série réside dans son titre : l’inclusion de Loïs Lane au rang de personnage principal.

Ce n’est certes pas la première fois qu’une déclinaison de la mythologie Superman met sa partenaire sur un pied d’égalité avec lui : en 1993, Loïs et Clark : Les Nouvelles Aventures de Superman la fait même passer devant. Mais la série de Deborah Joy LeVine, l’une des meilleures adaptations à ce jour (on y reviendra), reste une exception au milieu de productions qui ont plutôt eu tendance à sous-exploiter le personnage. Ce n’est pas que Loïs soit passée inaperçue auprès des auteurs et des amateurs de comics : pendant féminin originel de l’archétype du super-héros, sa puissance évocatrice a marqué les esprits, et l’on peut dire que toutes les girlfriends, (super)-héroïnes, vilaines, épouses, amantes ou amies qui lui ont succédé dans l’histoire du genre lui doivent une partie de leur ADN. Et pourtant, paradoxalement, les créateurs qui lui ont donné vie, tout en la reconnaissant comme le matériau précieux qu’elle était, ont rarement réussi à lui apporter la profondeur qu’elle appelait. Peut-être que trop d’entre eux s’obstinaient à la voir seulement comme la (chouette) copine de Superman, passant à côté de l’évidence criante : Loïs Lane est une héroïne super en soi.

    «  L’évidence criante : Loïs Lane est une héroïne super en soi. »

La question est donc posée, et de la plus haute importance : au-delà de son titre en forme de déclaration de principe, Superman and Lois a-t-elle bien révisé ses classiques, et parvient-elle à rendre justice au personnage ? Loïs Lane a toujours été un personnage remarquable, et pour en saisir l’essence – tout en évitant de commettre les erreurs du passé -, il faut revenir aux origines. Dès sa toute première apparition aux côtés de Superman dans le Action Comics n°1 en 1938, elle est une journaliste hors pair, tenace et à la répartie dévastatrice. À une époque où elle n’aurait pas eu le droit d’ouvrir un compte en banque, ses créateurs Jerry Siegel (auteur) et Joe Schuster (dessinateur) l’imaginent sans peur et sans reproche, leur fantasme résolument moderne d’une femme indépendante qui ne saurait être séduite que par un surhomme. Devenue « The most famous journalist in the world », avec deux Pulitzer à la clef, elle porte en elle la vision aspirationnelle d’un destin féminin où il n’y aurait pas nécessairement de choix à faire entre l’excellence, l’indépendance et l’amour. Car sous sa carapace endurcie, Loïs est aussi une femme de cœur, amoureuse de Superman parce qu’ils partagent la même quête de justice et de vérité.

Et si c’était justement de ce cœur battant sous l’armure qu’était née la confusion ? Comme si le fait d’être amoureuse, pour une femme, venait forcément éclipser son identité. Jusque dans les années 90, les versions du personnage qui arrivent jusqu’au grand public, à la télévision ou au cinéma, sont souvent réduites à leur facette énamourée, et présentées comme le dindon d’une farce sentimentale absurde. Loïs se pâme inévitablement devant Superman tandis que Clark lui fait les yeux doux, et cette gourde ne comprend pas qu’ils ne sont qu’une seule et même personne. Une vision cimentée dans l’inconscient collectif par l’immense succès commercial de Superman (1978) de Richard Donner, et de sa première suite Superman II (1981), de Richard Lester, qui représentent l’apogée du Superman old school et ont fait de Christopher Reeve une icône durable. Face à lui, la pauvre Margot Kidder a beau être piquante, elle peine à dépasser sa condition de demoiselle en détresse attitrée, car les films l’instrumentalisent pour démontrer leur thèse poussiéreuse : que la vulnérabilité de l’amour ne peut être compatible avec un destin extraordinaire. Elle est la tentation à laquelle Superman doit renoncer pour être le héros dont la terre à besoin, et elle manque d’espace pour montrer sa vraie nature.

C’est ce malentendu, ou plutôt cette interprétation presque abusive du personnage, que Loïs et Clark : les nouvelles aventures de Superman vient dissiper au début des années 90. Teri Hatcher s’empare du rôle et à travers elle, après avoir été pionnière dans les comics, Loïs Lane inaugure une nouvelle ère pour les héroïnes télévisuelles. Bourrée de défauts, mais irrésistible ; hyper-caractérisée, mais dotée d’assez de recul sur elle-même pour évoluer, apprendre, grandir, aller chez le psy, se réparer et s’embarquer dans une épique histoire d’amour avec l’homme le plus extraordinaire de la planète. Ce qui est notable, dans cette série qui veut conjuguer romance et émancipation individuelle, c’est que l’affirmation de Loïs va de pair avec une profonde transformation de Superman/Clark Kent, qui joue en sa faveur. En 1986, Superman a connu dans les comics un reboot complet, qui a changé la donne : Clark Kent n’est plus un déguisement, mais l’identité profonde du personnage, et il aspire désormais à la vie ordinaire qu’il pourrait partager avec Loïs.

Au diapason de cette évolution, Loïs et Clark place leur histoire d’amour au cœur du récit, mais cette fois sans condescendance pour le personnage féminin. Puisant autant dans le registre de la screwball comedy des années 40 que dans les codes de la comédie romantique moderne, la série nous offre le spectacle jubilatoire de l’émerveillement croissant de Clark face à une Loïs qui ravit son cœur à force de témérité et de traits d’esprits cinglants, sans jamais s’excuser de sa puissance ou de son succès. La créatrice de la série, Deborah Joy Levine, parvient également à résoudre le plus gros problème de Loïs depuis sa création : comment une femme si perspicace peut-elle se faire berner par une paire de lunettes ? La scénariste lève ce lièvre en démontrant que Loïs est tout simplement l’incarnation d’un paradoxe, avec lequel toutes les femmes peuvent s’identifier : le tiraillement constant entre un cynisme conditionné et le désir de croire aux contes de fées. Le « la » est donné dès le pilote, quand Loïs affirme son désintérêt pour les hommes qui auraient peur d’elle… tout en confiant son rêve de rencontrer l’élu qui saura l’aimer sans la craindre : « Look I’m just being myself and if they’re not man enough to handle it, than I’ll just wait for someone who is. » (« Je suis juste moi-même, et s’ils n’ont pas les épaules pour le supporter, alors j’attendrai celui qui les a. ») CQFD.

    «  Superman serait son sidekick, garde du corps là pour soutenir sa quête effrénée à elle. »

Si la Loïs Lane de Teri Hatcher a sauvé le personnage du cliché du love interest béat à la télévision ; au cinéma, il faudra pourtant attendre Man of Steel, de Zack Snyder, en 2013, pour découvrir, sous les traits d’Amy Adams, une Loïs pleinement affranchie et motrice de l’histoire. Dans cette énième origin story, Clark n’essaye même plus de tromper Loïs avec ses lunettes : c’est elle qui le traque à travers les États-Unis et le convainc d’assumer son destin de héros. Par amour pour elle, il ne devient pas simplement Superman mais également le Clark Kent qu’on connaît. Avec ce film, Loïs a donc fini d’enrayer l’idée préconçue qui gouvernait Superman II, selon laquelle une vie sentimentale est un obstacle au destin de justicier. Mais dans les longs-métrages suivants, Batman v Superman et les différentes itérations de Justice League, un nouveau péril la menace : celui d’être statufiée vivante. À force d’être considérée comme extraordinaire par les personnages qui l’entourent, elle perd un peu du caractère multi-dimensionnel que Man of Steel avait pourtant bien compris, et menace de se transformer en super maman de l’univers DC, vénérée mais désincarnée.

C’est d’ailleurs en figure maternelle qu’elle apparaît dans Superman and Lois, où l’on retrouve les travers des films récents. Aussi convaincante soit-elle, la Loïs composée par Elizabeth Tulloch (Grimm) reste reléguée au rôle de mère courage, entre ses deux jumeaux caractériels, son mari aimant mais embourbé dans sa culpabilité, et son papa militaire qui n’en finit pas de vouloir envoyer Clark au casse-pipe pour le bien de la nation. Bienvenu à Testostérone City. Le tout alourdi par une accumulation un peu artificielle de tourments psychologiques et une photographie maussade… Après seulement 5 épisodes (sur les 15 que comptera la première saison), la série cherche sans doute encore son rythme de croisière. Pourtant notre intuition nous dit que ses auteurs, en rejetant les couleurs vives et le kitsch qui fait toute la saveur ludique des Superman du 20e siècle, pour remplir le cahier des charges du drama réaliste adulte, risquent de cantonner Loïs à une interprétation trop limitée de ce que devrait être une « femme forte » aux prises avec des « men » forcément « difficult ».

En guise de modernisation, on préfère se plonger dans les comics récents, notamment Loïs Lane, écrit par Greg Rucka et Mike Perkins en 2019-2020, qui dresse un portrait très contemporain de notre journaliste justicière et des problèmes que les réseaux sociaux créent dans son mariage avec un super-héros à l’identité secrète. Et si l’on tâche de rester indulgent avec Superman and Lois, entendre le showrunner de la série, Todd Helbing, se revendiquer de Friday Night Lights, a tendance à attiser nos craintes : car du chef-d’œuvre de Jason Katims, Superman and Lois ne semble pour l’instant retenir qu’une esthétique, une surface, sans parvenir à saisir la subtilité de son modèle. On repensera à cette scène clef du début de la saison 3 de Friday Night Lights, dans laquelle Coach Taylor avoue à sa femme que depuis qu’elle est devenue proviseure du lycée, la « femme du coach » lui manque, et qu’elle lui répond simplement qu’elle a hâte de rencontrer « le mari de la proviseure ». Pour constater que Superman and Lois est loin d’avoir cette finesse, et cette intelligence dans l’appréhension de la relation qui lie ses deux personnages.

Pourtant, même quand la série ou le film est frustrant, on continue, encore et encore, à aimer Loïs Lane. D’où vient cette force irréductible, qui transcende les bourdes des scénaristes ? Peut-être du sentiment profond qu’elle est une super-héroïne cachée sous les traits d’un personnage secondaire. Ce qui ferait de Superman son sidekick, son garde du corps, là pour soutenir sa quête effrénée à elle. À ceux qui nous opposeraient son absence de pouvoirs surnaturels, rappelons que Batman n’en a jamais eu besoin. Et racontons l’histoire de Joanne Siegel : femme du premier auteur de Superman, celle qui fut l’inspiration originelle de Loïs Lane accomplit la tâche titanesque de restaurer une partie des droits d’auteur de son mari en traînant DC en justice des années durant. La preuve faite femme – et personnage – que les super-pouvoirs n’ont, parfois, rien de surnaturels.

Superman and Lois, sur The CW aux États-Unis et prochainement en France.

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