Servant – Une serie de Shyamalan ?

Après Wayward Pines, M. Night Shyamalan produit et réalise deux épisodes
de la nouvelle série d’Apple TV+,
Servant.
Jusqu’où peut-on y reconnaître sa signature ?

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 7 min.

Servant

Bande-Annonce

La nouvelle série de M. Night Shyamalan est servie ! Mais est-ce vraiment lui qui l’a faite ? Oui et non. S’il est bien producteur de Servant, la dernière-née d’Apple TV+ lancée ce 28 novembre, le cinéaste n’en a filmé que deux épisodes, confiant le reste à des pros de la réalisation télé. Quant aux scénarios, ils sont signés Tony Basgallop(Berlin Station), le créateur de la série. Pourtant, Servant est imprégnée d’une atmosphère typique des films de Shyamalan. Le pitch ? Dans leur browstone cossu des beaux quartiers de Philadelphie, Dorothy (Lauren Ambrose), reporter à la télé locale, et Sean (Toby Kebbell), chef spécialisé dans la cuisine moléculaire, accueillent une nounou à domicile, la pieuse Leanne (Nell Tiger Free, vue dans Game of Thrones), pour prendre soin de leur nourrisson, Jericho. Un point de départ qui évoque celui de Chanson Doucesorti récemment sur les écrans. Sauf qu’ici, c’est la jeune employée qui découvre qu’un drame terrible a précédé son arrivée, et bientôt on ne sait pas qui, des parents ou de la servante, est le plus dangereux.

On n’en dira pas plus tant l’intrigue, shyamalanesque en diable, repose sur les révélations successives. L’esprit de Shyamalan hante aussi les choix esthétiques de la série, dont il pose lui-même les bases en réalisant le premier épisode. La photo grise et sombre, le cadre étroit, les mouvements de caméras capables de retourner le sens d’une image et notre cerveau au passage… Tout comme Wayward Pines, sa précédente danseuse télé, revisitait certains effets du Village, son film de 2004, Servant va chercher les sensations de Sixième Sens, réalisé en 1999. Symptomatique du rapport de nombreux cinéastes à l’objet sériel, cette manière d’injecter son style à un projet sans mettre complètement les mains dans le cambouis peut passer pour du cynisme. En ce qui concerne Shyamalan, on y décèle plutôt un nouveau signe de l’impuissance créative avec laquelle ce génie du langage cinématographique semble se débattre depuis 15 ans.

La crainte de devoir se fader un énième thriller ésotérico-biblique
laisse peu à peu la place au plaisir d’une inquiétante comédie.

Impuissance créative ?
Alors que les motifs qu’il a inventé dans ses films des années 2000 étaient digérés par les autres pour devenir le tout-venant, Shyamalan semblait perdre son mojo. Que proposer de neuf quand tout le monde, et les séries en particulier, s’est mis à fabriquer des objets à la Shyamalan, conceptuels, à la mise en scène duplice, couronnés de twists finaux ? Et on ne parle pas que de sous-produits médiocres : même les grands auteurs de télé portent son influence – qui regarde en ce moment le Watchmen de Damon Lindelof, par exemple, aura du mal à ne pas penser à Incassable. Comme dépossédé, Shyamalan a quant à lui enchaîné les ratages complets (After Earth), les petites productions malines mais mineures (The Visit) et les extensions malades de ses chefs-d’œuvre (Split et Glass, ses spin-off d’Incassable). Superviser des séries sans qu’elles soient totalement siennes semble un autre moyen d’exercer sa signature à minima, à défaut de retrouver sa verve d’antan.

Servant n’est-il pour autant qu’un substitut inutile des films que Shyamalan ne sait plus faire ? Dans un premier temps, on est tenté de le croire, tant le décorum de la série est chargé en lieus communs de son imaginaire. Une ambiance morne, saturée de mystère ; une musique qui crisse pour annoncer le danger ; une caméra qui entraîne lentement notre regard vers une révélation choquante ; des artefacts religieux flippants… Tous ces clichés formels sont tellement appuyés que ç’en est presque grotesque. Et comme le scénario multiplie les approximations et les invraisemblances, on pense d’abord être en présence d’un sacré nanar.

Mais quelque chose retient néanmoins notre attention et sauve Servant du coup de zapette. La série, truffée d’humour noir, semble avoir conscience de ses propres boursouflures. Et la crainte de devoir se fader un énième thriller ésotérico-biblique laisse peu à peu la place au plaisir d’une inquiétante comédie sur les rapports de classe et les affres de la parentalité. Comme si trop en faire était moins la marque d’une solennité ronflante qu’un moyen de tendre vers la farce. Oui, Servant a des airs de Sixième Sens de seconde main. Mais en optant pour un registre sarcastique, emballé dans des épisodes de 30 minutes, la série évoque plus avantageusement The Visit, hilarant film d’horreur sur le troisième âge et meilleur Shyamalan de mémoire récente.

Une autoanalyse roborative
Servant désamorce par l’excès burlesque le sérieux de ses propres références, et cette volonté s’incarne notamment dans le jeu de Lauren Ambrose, alias Dorothy. Peu revue depuis Six Feet Under, où elle interprétait la cadette de la famille Fischer, l’actrice compose avec force, mimiques et bizarreries corporelles un extraordinaire portrait de femme rendue folle par la maternité. Successivement drôle (voir les extraits de ses reportages télé, astucieusement dispatchés dans la série), condescendante, touchante ou terrifiante, elle est magistrale. Couplant la névrose de Dorothy aux expérimentations culinaires de son mari, qui passe son temps à dépecer des bestioles dans leur cuisine design, la série se déporte des aspects les plus éculés du sujet religieux pour explorer la dimension organique du rapport mère-enfant, et par là-même la question de l’instinct maternel. Par un twist scénaristique qu’on ne révélera pas, l’existence charnelle de l’enfant est mise en question, et avec elle le sentiment de fusion et de dégoût mêlés que l’on peut ressentir pour le fruit de ses entrailles.

Partager un placenta, est-ce la garantie d’un lien affectif ? Aime-t-on la réalité physique de son enfant ou l’idée d’avoir un enfant ? Donner la vie, n’est-ce pas également donner la mort et devenir mortel soi-même ? En posant ces questions, Servant se révèle plus stimulante que prévu. Et lorsqu’arrive le magnifique épisode 9, le deuxième réalisé par Shyamalan, on se demande jusqu’à quel point ces angoisses sont aussi celles du cinéaste vis-à-vis de ses propres créations. Pour le détail freudien, sa mère était gynécologue-obstétricienne… Alors oui, de manière indirecte et diffuse, Servant est bel et bien une série de M. Night Shyamalan.

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