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Scénaristes mode d’emploi

De Mank, où Fincher raconte les déboires d’un génial plumitif au service du film d’un réalisateur mégalo, à la récente mise au point des auteurs d’En Thérapie, qui revendiquaient leur part de paternité face aux réalisateurs de la série, le scénariste lutte souvent pour sa reconnaissance. On a sélectionné trois contenus stimulants pour mieux comprendre ce métier de l’ombre.

Par Juliette Cordesse et Caroline Veunac

Temps de lecture 10 min

On ne les voit jamais. Ils parlent rarement. Le cliché veut que les scénaristes, éclipsés par l’aura des réalisateurs, soient les soutiers de la fabrique à fictions. Le constat est moins net aux États-Unis, où les auteurs de cinéma jouissent d’un certain prestige (on y compte même des scénaristes culte, comme Charlie Kaufman), tandis que les séries regorgent de créateurs stars, d’Aaron Sorkin à Shonda Rhimes, qui peuvent se targuer d’un pouvoir reléguant les réalisateurs au rang d’exécutants. En France, encore sous l’emprise de la figure de l’auteur-réalisateur seul maître à bord, un mythe issu de la Nouvelle Vague, leur statut est moins rayonnant. Des générations de scénaristes sortent pourtant chaque année des écoles spécialisées, la Fémis ou le CEEA (Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle). Comme la Writers Guild of America (WGA) Outre-Atlantique, un syndicat, la Guilde des scénaristes, se charge de défendre leurs intérêts. Mais la question est surtout culturelle, et pour quelques noms plus ou moins connus du grand public, telles que Jean-Claude Carrière, dont la mort récente a eu les honneurs des JT, ou encore Thomas Bidegain, le compagnon de route de Jacques Audiard, nombre d’auteurs talentueux et prolifiques restent sous le radar.

Peut-être cette discrétion convient-elle à un certain nombre d’entre eux. Pourtant, ces derniers temps, ils ont été plusieurs, plus précisément dans le milieu des séries françaises, à sortir de leur réserve pour revendiquer la place centrale de l’écriture dans la mécanique sérielle, auprès de producteurs et de réalisateurs qui n’avaient visiblement pas eu le mémo. Showrunneuse de Dix Pour Cent, Fanny Herrero s’est sentie mise à l’écart de la série et elle l’a dénoncé. Co-auteurs d’En Thérapie, David Elkaïm et Vincent Poymiro ont ouvertement déploré que les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano aient un peu trop tiré la couverture à eux. Ces règlements de compte mettent à jour la tension qui sous-tend la création d’une série ou d’un film : on l’associe souvent à un individu seul qui en devient la figure de proue, alors qu’elle relève d’un processus collectif dont l’alliage entre écriture et mise en scène est la pierre angulaire. « L’auteurisme, je n’y crois pas », déclarait crânement David Fincher dans le magazine Première au sujet de son dernier film, Mank, qui raconte les déboires du scénariste de Citizen Kane Herman J. Mankiewicz, confronté au mépris des studios et à la personnalité démiurgique d’Orson Welles. Une façon un peu provoc de renvoyer dos à dos les égos de chacun pour mettre en avant l’œuvre elle-même, née de la symbiose entre de multiples compétences.

Qu’un réalisateur total comme Fincher consacre un film à rappeler l’importance du scénariste sonne par ailleurs comme un signe des temps. Avant Mank, le film de Jay Roach Dalton Trumbo, biopic d’un scénariste hollywoodien victime du maccarthysme, avait lancé la tendance. Les scénaristes sortent de l’ombre au point de devenir des sujets de fiction, et leur rendre justice semble participer à la déconstruction des dominations tous azimuts dont notre époque est témoin. Au-delà de la reconnaissance des personnes, c’est aussi un métier méconnu, souvent caricaturé, qui devient plus accessible à la connaissance de tout un chacun, dans sa richesse et sa complexité. Si le cinéma, de Barton Fink à Adaptation, a parfois nourri le cliché de l’auteur solitaire et torturé aux prises avec la page blanche, le succès de manuels écrits par des businessmen du storytelling, comme Robert McKee (Story) ou John Truby (Anatomie du scénario) a, de son côté, renvoyé du scénario une image appauvrie, réduite à la mise en œuvre mécanique d’une méthode clé en main. La vérité, bien plus diverse et passionnante, est celle d’une activité à la fois très technique et très humaine, dans laquelle la personnalité de chacun, mais aussi un grand savoir-faire, entrent en jeu. Par chance, les espaces se multiplient où l’on peut découvrir le travail scénaristique raconté par celles et ceux qui le font. Découvrez notre sélection.

À voir : la chaîne Youtube de la Guilde des scénaristes

Syndicat né en 2010 pour aider à la défense d’un métier souvent maltraité par le secteur audiovisuel, la Guilde française des scénaristes a désormais sa chaîne Youtube, qui donne la parole aux auteurs dans de longs et fouillés entretiens vidéo, baptisés « Secrets de scénaristes ». Les plumes derrière les productions françaises du moment viennent y parler de leur métier, des difficultés qu’elles peuvent rencontrer mais aussi de leurs œuvres. On y entendra par exemple Alexis Manenti, co-scénariste et comédien des Misérables de Ladj Ly, raconter sa collaboration avec le réalisateur aux méthodes impulsives ; ou Marc Kressmann, artisan de la série de TF1 Munch, confier son côté control freak, selon lui en parfait accord avec l’activité de scénariste. En parallèle, la chaîne propose quelques courtes vidéos informatives sur des sujets précis, de la rémunération des auteurs au le rôle du syndicat. On y retrouve enfin les « Débats de la guilde », de grandes tables rondes sur des sujets polémiques, comme le genre en France ou la place du scénariste dans le cinéma d’auteur. Une offre dense et panoramique, idéale pour avoir une vision d’ensemble des enjeux de la scène scénaristique française.

https://www.youtube.com/channel/UCq-7DO8OWv7OWJUWoFYp6oQ

À lire : Créer une série, de Pierre Langlais

Sorti ce 2 mars 2021, Créer une série s’attache à raconter l’écriture de l’intérieur en donnant la parole à 16 auteurs et autrices de télé, et pas des moindres. David Simon (The Wire, Treme), Adam Price (Borgen), Fanny Herrero (Dix Pour Cent) ou Michaela Coel (I may Destroy You)… Des États-Unis à l’Europe, le livre nous fait entendre la voix de créateurs et créatrices aux styles différents, fonctionnaires disciplinés, passionnés jonglant entre leur vocation et leur vie familiale, ou grands solitaires pétris de doute. Au fil d’un chapitrage qui retrace chaque étape de la production d’une série en confrontant les expériences et sentiments de chacun, de l’étincelle de départ au sevrage, les scénaristes se livrent avec fougue et sincérité sur ce qui les inspirent, leur méthode de travail et leurs angoisses, du plus trivial au plus existentiel. Particulièrement émouvant, le témoignage de Fanny Herrero nous apprend par exemple que Dix Pour Cent a été la branche à laquelle elle s’est accrochée après une difficile séparation… Mises bout à bout, ces histoires personnelles forment le portrait d’un métier multiple mais unique en son genre, dont la matière première est l’intime de celle ou celui qui l’exerce.

Chez Armand Colin

À écouter : le podcast The Q&A with Jeff Goldsmith

Pour les anglophones qui ont un peu plus de temps, ce podcast très célèbre aux États-Unis propose des entretiens de 45 minutes à 1 heure avec les scénaristes qui font l’actualité. Chaque discussion, menée par le journaliste Jeff Goldsmith, aborde dans l’ordre la carrière de l’invité, ses méthodes d’écriture (avec la question récurrente « que fais-tu face à un syndrome de la page blanche ? ») avant de décrypter le film lui-même avec l’aide de son auteur. Sacha Baron Cohen, Jac Schaeffer (WandaVision) ou Pete Docter… Les invités sont souvent prestigieux, et les échanges regorgent d’anecdotes croustillantes dont les amateurs de petite cuisine scénaristique seront forcément friands. Saviez-vous par exemple qu’Aaron Sorkin, créateur vénéré de The West Wing, scénariste de The Social Network (peut-être un des meilleurs scripts du monde), et plus récemment réalisateur des Sept de Chicago, prend une douche dès qu’il est à court d’inspiration ? Comme il est aussi obsessionnel que les personnages qu’il écrit, il peut en prendre jusqu’à huit par jours ! Un petit fun fact savoureux, à l’image de ce podcast qui nous met en immersion avec les plus grands scénaristes étasuniens.

http://www.theqandapodcast.com/

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