Physical, sur Apple TV+

Les abdos de la colère

Première création d’Annie Weisman, l’une des productrices de Desperate Housewives, Physical propulse Rose Byrne dans le monde de l’aérobic des années 80 et brosse le portrait d’une femme au bord de l’implosion. Les intentions sont bonnes, mais le ton n’y est pas.

Par Perrine Quennesson

18 juin 2021
Temps de lecture 5 min

Physical

Bande-Annonce

Productrice de télé depuis plus de dix ans, Annie Weisman collectionne les séries qui s’attaquent à l’image d’Épinal de la perfection au féminin. Des sorcières rebelles d’Eastwick (2009) à l’ado snob et névrosée de Surbugatory (2014) ;  des femmes au foyer aux secrets morbides de Desperate Housewives (dont elle a accompagné les deux dernières saisons) à la super-maman/patronne/bonne copine en surchauffe d’I Feel Bad (2018)… Sa filmo de productrice a toujours déjoué les clichés en privilégiant les héroïnes complexes, incarnations peu reluisantes des pressions qui pèsent sur les femmes. Sa première série en tant que créatrice et showrunneuse, Physical, ne déroge pas à la règle. Dans les années 80, on y suit Sheila Rubin, une mère de famille dépressive, victime de troubles alimentaires, qui retrouve peu à peu son énergie physique et mentale grâce à l’aérobic. Jusqu’à créer son propre empire.

« Sheila est la fois bien de son temps et annonciatrice d’un narcissisme plus actuel »

Il y a quelque chose de Wall Street en lycra dans cette chronique sans foi ni loi d’une femme qui gagne sa place au soleil dans l’Amérique reaganienne. Mais Physical n’est pas juste une success story : sa particularité est de nous donner à entendre le flot de pensées de Sheila, d’une violence inouïe, entre haine de soi et mépris des autres. Se répétant à l’envi qu’elle est grosse, rabaissant intérieurement ceux qui l’entourent, passant son temps à se comparer, notre héroïne fielleuse devient l’incarnation pas jojo du revers de la réussite : l’individualisme à tout crin. Et d’annoncer au passage ce que sera le siècle d’après et le règne des réseaux sociaux… Version moins prestigieuse de la Jane Fonda en justaucorps des golden eighties – comme la star hollywoodienne, la femme au foyer de Physical a un passé d’activiste dans les années 60-70 –, Sheila est la fois bien de son temps et annonciatrice d’un narcissisme plus actuel. Pourtant, si Sheila troque ses idéaux pour le culte du corps, c’est d’abord pour soutenir financièrement la campagne électorale de son mari, peu (voire pas) reconnaissant. Physical montre comment la charge mentale des femmes, coincées entre diverses injonctions, les contraignent souvent à renoncer à leur liberté. Le parcours de Sheila est à la fois une ascension sans merci, et l’histoire d’une possible émancipation. La série ne condamne pas son personnage : après tout, si Jane Fonda est revenue à ses combats de jeunesse (l’actrice désormais octogénaire ne loupe pas une manif pour le climat), tout n’est pas perdu pour Sheila… Enfin pas si sûr.

Car Physical, du moins dans cette première saison, ne fait pas grand-chose pour racheter son personnage. Dans cette histoire sur la rage intérieure, le venin envahit tout. Craig Gillespie, qui co-produit et réalise le premier épisode, imprime à la série la même ambiance sombre, aux couleurs désaturées, que dans son film Moi, Tonya, une autre histoire de sport et de femme qui ravale sa haine. L’idée de mettre en lumière un personnage aussi peu aimable peut d’abord avoir quelque chose de distrayant, mais au bout de dix épisodes, le manque d’évolution de Sheila devient contre-productif, et sa colère nous apparaît au mieux ennuyeuse, au pire nauséabonde. C’est d’autant plus dommage que le talent de Rose Byrne, dont l’amplitude de jeu n’est plus à prouver, se retrouve à l’étroit dans la peau de ce personnage unilatéral, peu dessiné, et finalement plus conceptuel que sensible. Pour une fois que la géniale actrice de Damages et Pierre Lapin récoltait le premier rôle… Il y a de quoi fulminer, intérieurement et extérieurement.

Physical est disponible sur Apple TV+.

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