Ovni(s) vue par ses créateurs

« Ovni(s) raconte les origines de la crise »

À la fois réaliste et fantaisiste, Ovni(s) nous projette à la fin des années 70, sur les traces d’un scientifique très sérieux confronté à l’enthousiasme débordant d’une bande d’ufologues. Ses créateurs nous aident à décrypter les enjeux de cette série lumineuse.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

Ovni(s)

Bande-annonce

Alors que la récente 3615 Monique (OCS), illustrait, par le biais du Minitel, la transition vers le mitterrandisme, Ovni(s), la nouvelle création originale de Canal+ écrite par Clémence Dargent et Martin Douaire, et réalisée par Antony Cordier (Gaspard va au mariage), est une immersion totale dans les années Giscard. Si la série a le bon goût d’atténuer les signes ostentatoires les plus criards de l’époque, du cama, c’est qu’elle préfère se concentrer sur l’esprit de cette époque. Un temps de la transition, un temps suspendu, comme l’expliquent Clémence Dargent et Martin Douaire : « Il y avait l’idée d’explorer ce monde que l’on n’avait pas connu, celui dans lequel avaient grandi nos parents. Cette France crépusculaire de la fin des Trente glorieuses où les certitudes commençaient à vaciller. » Un monde en bascule, personnifié par notre héros (qui s’ignore), Didier Mathure.

Brillant ingénieur spatial, il voit son rêve partir en fumée lorsque sa fusée explose au décollage. Mis au banc du CNES (Centre national d’études spatiales), le voilà placardisé au tout nouveau GEPAN, un bureau d’investigation spécialisé dans l’ufologie (bien réel, et qui existe toujours sous le nom GEIPAN !). C’est le choc des cultures : grand cartésien devant l’éternel, Didier Mathure se retrouve à la tête d’une équipe bigarrée et approximative censée résoudre les cas de soucoupes volantes. Nous sommes en 1978, et cette rencontre au sommet, entre X-Files et Silicon Valley au pays de la baguette, reflète la société d’alors, écartelée entre rêve et pragmatisme. L’année d’avant, tout le monde est allé voir Star Wars et Rencontres du troisième type, mettant à portée d’imagination le voyage dans l’espace et la rencontre avec les extraterrestres prédite par l’astronome star Carl Sagan. Mais il faudra encore un an à la France, et à l’Europe, pour entrer dans la cour des grands en finalisant son programme Ariane. En attendant, on tente, on essaye, on teste, porté pour les uns par l’esprit de conquête qui a mis l’homme sur la lune, et pour les autres, par le souffle expérimental qui a traversé la double décennie 60-70, ouvrant grand les portes de la perception. En 1978, Bill Gates et Steve Jobs sont déjà en train de construire des machines qui mettront l’individualisme au goût du jour, et pourtant les utopies communautaires ne sont pas encore tout à fait mortes… Que l’on soit terre-à-terre ou doux-rêveur, il est encore question de regarder tous ensemble vers les étoiles.

« L’intelligence d’Ovni(s) ? Ne pas mettre son héros en résistance face à tous ces changements, mais plutôt en quête de sens. »

Comme son époque, Didier Mathure est un homme en transition. Car si l’expert en spatiologie un peu coincé, impeccablement interprété par Melvil Poupaud (retrouvez notre interview ici), doit accepter que l’espace n’appartient pas qu’aux scientifiques et à la rationalité, il doit aussi faire face à des changements au sein même de son foyer. Obsédé par son ambition spatiale, il n’a pas vu sa famille se dissoudre. En pleine procédure de divorce avec Elise (Géraldine Pailhas, tout en finesse), membre éminente du CNES, il se retrouve soudain obligé de prendre ses responsabilités parentales. Si le divorce est chose courante de nos jours, c’est encore un phénomène rare sous Giscard, et une ex-femme au statut social plus élevé que son ancien compagnon, c’est encore plus exceptionnel. Et Ovni(s), à travers son personnage d’homme traditionnel projeté dans un univers où les normes qu’il connaît n’ont plus cours, d’annoncer les changements sociétaux du monde d’aujourd’hui. « Ce que cette série raconte, ce sont les origines de la crise, développe le réalisateur Antony Cordier. La crise du masculin, la crise du couple et l’avènement des familles recomposées, la redéfinition de la figure du père. Dès l’ouverture de la série la belle fusée de Didier explose et devient une sorte de métaphore de la crise du phallus qui allait s’enraciner dans les années 1970. »

L’intelligence d’Ovni(s) ? Ne pas mettre son héros en résistance face à tous ces changements, mais plutôt en quête de sens. Mathure veut comprendre et apprendre, car c’est avant tout un esprit curieux, auquel le GEPAN va finalement comme un gant. Éteint, sur pilote automatique, l’esprit de Didier (comme le nôtre) se rallume au contact de Véra (Daphné Patakia), Rémy (Quentin Dolmaire) et Marcel (Michel Vuillermoz), ses nouveaux collègues aussi farfelus qu’attachants, et des phénomènes aérospatiaux tous plus improbables les uns que les autres auxquels ils sont confrontés. Avec lui, la série nous reconnecte au merveilleux, au point souvent de faire vaciller nos propres certitudes quant à l’existence des petits hommes verts. Flamand rose qui apparait puis disparaît, pin’s qui a la bougeotte, boule à facette cosmique échouée au milieu de la forêt (on en passe, et des cocasses), Ovni(s) ancre la science-fiction dans une culture très française, et c’est ce qui fait tout son charme.

Loin du complotisme d’un Fox Mulder, Didier Mathure évoque plutôt la loufoquerie d’un Pierre Richard évoluant dans un monde où Jacques Tati tutoierait les frères Bogdanov de Temps X. Et si la série ausculte les mutations qui ont donné naissance à notre époque, elle nous offre aussi quelque chose qui, aujourd’hui, nous manque cruellement : l’enthousiasme face au champ des possibles. Et si dans les périodes de grands bouleversements, l’émerveillement était encore possible ? Nous aussi, on a envie d’y croire.

Ovni(s), actuellement sur Canal+

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