Hollywood

Après Feud : Bette and Joan, Ryan Murphy nous replonge dans la face sombre de l’Âge d’or
du cinéma américain. Déconstruction en règle du mythe des studios, Hollywood dévoile
les rouages d’une industrie rongée par l’hubris de ses dirigeants.
Virevoltant et passionnant.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min

Hollywood

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Que reste-t-il du glamour hollywoodien après l’affaire Weinstein ? Le nouveau projet de Ryan Murphy entreprend de nous montrer que le fonctionnement glauque, les jeux de pouvoir et les cabrioles forcées sont aussi vieilles que l’industrie du cinéma. Deuxième série après The Politician créée par le producteur dans le cadre de son contrat d’exclusivité avec Netflix, Hollywood, tout simplement, nous invite aux portes des studios dans les années 40, pour y suivre le périple de plusieurs jeunes acteurs, scénaristes et réalisateurs en quête de succès, parmi lesquels Jack (David Corenswet), un ancien militaire venu tenter sa chance devant les caméras. Le pitch peut paraître cliché, mais ce n’est que le point de départ d’une autopsie en profondeur de l’usine à rêves angeline.

En sept épisodes menés tambour battant, la mini-série confronte sa brochette d’aspirants artistes à la réalité des coulisses plus que sombres de l’industrie, corrodée par la soif de domination des hommes qui en tirent les ficelles. Racisme, sexisme et agressions sexuelles sont la monnaie courante de cet univers, d’autant plus hypocrite que sévit alors le fameux Code Hays. Mis en place en 1934 pour se refaire une bonne santé morale après les affaires de mœurs qui avaient éclaboussé Hollywood dans les années 20, ce guide d’auto-censure purge les films de leurs scènes trop explicites. Ce qui n’empêche pas, dans la plus grande tradition puritaine, la domination sous toutes ses formes de sévir en coulisses.

Malléable, vendeur, rentable… Les mots d’ordre du bon comédien sont ici les mêmes que ceux qui s’appliqueraient à n’importe quel objet marketing. On est loin de la sacralité des vedettes de cinéma, telles que les envisage le sociologue Edgar Morin dans son essai Les Stars. Ici, les acteurs sont plutôt des marionnettes. À travers le personnage joué par Jim Parsons, bien loin du Sheldon de The Big Bang Theory, un agent tyrannique qui change le nom de ses acteurs, leur voix et leur style pour créer un produit lucratif, la série nous révèle un monde où tout n’est qu’avidité et apparences. Et comme pour souligner cet artifice, Ryan Murphy, qui réalise le premier épisode, ne filme que des paysages ensoleillés.

« une relecture de l’histoire du cinéma centrée sur
le chemin semé d’embûches des minorités »

Montrer l’envers du décor hollywoodien n’est pas chose nouvelle. De Sunset Boulevard à Mulholland Drive sans oublier L.A. Confidential, la série de Ryan Murphy se confronte forcément aux chefs-d’œuvre du genre. Et si ça marche aussi bien, c’est sans doute grâce à la personnalité du showrunner. Les influences queer et la sensibilité à la représentation des minorités, qu’il insuffle dans chacune de ses créations depuis Popular au début des années 2000, donne à ce décryptage cinglant des dessous du cinéma une saveur particulière.

Comme il en a l’habitude, l’auteur-producteur-réalisateur intègre à cette nouvelle série les éléments récurrents du Murphyverse, notamment le récit choral où l’on retrouve sa famille d’acteurs fétiches, David Corenswet ou encore Jeremy Pope, Patti LuPone et Darren Criss, le génial interprète d’American Crime Story : The Assassination of Gianni Versace, qui prend ici les traits d’un réalisateur engagé aux racines multiethniques. Le tout arrosé d’une bonne dose de drama et de paillettes pour donner vie aux personnages fictionnels, mais aussi pour recréer les existences aliénées de stars bien réelles. Hollywood ressuscite notamment Rock Hudson (Jake Picking), dont l’homosexualité resta un secret forcé jusqu’à sa mort du Sida en 1985, ou encore l’actrice sino-américaine Anna May Wong (Michelle Krusiec), aux prises avec le racisme du milieu.

Hollywood est d’autant plus frappante qu’elle fait écho au parcours de Ryan Murphy, lui l’outsider devenu l’un des producteurs télé les plus puissants d’Hollywood en signant un contrat record de 300 millions de dollars avec Netflix. Cette nouvelle position lui permet de poursuivre le combat des laissés pour compte de l’intérieur, et de frapper encore plus fort en proposant sur une plateforme toute-puissante une relecture de l’histoire du cinéma centrée sur le chemin semé d’embûches des minorités. Dans la série, les marginaux finissent par se rassembler pour défendre leurs intérêts d’une même voix : celle d’un film de cinéma qu’ils fabriquent ensemble, et qui sert de fil conducteur aux sept épisodes. Peg puis Meg, une œuvre écrite par un homme noir homosexuel, filmé par un réalisateur d’origine asiatique et dont l’interprète principale est une femme de couleur incarnant une actrice ratée qui tente de se jeter du haut du signe Hollywood… En 2020, ce film fictif et multiculturel sonne encore comme une utopie.

Disponible le 1er mai sur Netflix

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