Hervé Hadmar

« Romance est ma série la plus personnelle »

Le co-créateur de Pigalle, la Nuit et des Témoins Hervé Hadmar signe avec Romance sa
première série solo. Amour fou, voyage temporel et variation sur Vertigo…
L’auteur-réalisateur nous dit tout sur ce thriller ensorcelant,
à découvrir actuellement sur France 2.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 10 min.

Hervé Hadmar

Interview

« Cette histoire commence dans 59 ans ». Dans Romance, la première série qu’il écrit et réalise sans son complice habituel Marc Herpoux, Hervé Hadmar imagine un voyage temporel d’un romantisme échevelé : celui de Jérémy (Pierre Deladonchamps), qui se retrouve propulsé à Biarritz dans les années 60, sur les traces d’Alice (Olga Kurylenko), une femme sublime aperçue sur une vieille photo à Paris de nos jours. Dans le passé, notre héros fait aussi la connaissance de Tony (Simon Abkarian), le patron d’un club de jazz, et de Chris (Pierre Perrier), le petit ami possessif d’Alice. Une villa avec piscine au-dessus de l’océan, une femme de rêve, une petite frappe aux faux airs de Delon, des planches de surf vintage et les éléments qui se déchaînent… Après le Nord sinistre des Témoins, son excellent polar pour France 2, l’auteur-réalisateur s’offre des vacances en solo sur une côte basque fantasmatique et rétro. Et s’aventure encore plus loin dans l’imaginaire tortueux qui traversait déjà son travail avec Marc Herpoux, des Oubliées à Au-delà des murs. La cristallisation amoureuse, l’obsession, l’imaginaire plus fort que le réel, le rêve qui tourne au cauchemar… Pour nous, Hervé Hadmar passe sur le divan.

Vous souvenez-vous de la première idée qui a enclenché le processus créatif menant à l’écriture de Romance ?
Je me souviens d’avoir lu un fait divers qui m’a fasciné. C’était l’histoire d’un jeune type, aux États-Unis, qui collectionne les appareils photo. Il a trouvé un appareil dans une brocante, dedans il y avait une pellicule, il a développé la pellicule et sur ces photos il y avait une très belle femme, très mystérieuse, de trois quart dos, en robe, de l’eau jusqu’aux cuisses… Il est un peu tombé amoureux de cette image, qui datait des années 50, et il a cherché à connaître l’identité de cette femme. Mais il ne l’a jamais trouvée. Ça m’est resté en tête, et ça a rejoint le fait que France Télévisions n’avait pas envie de faire une saison 3 des Témoins. Moi j’aurais voulu, j’avais encore des choses à raconter, et en même temps je me suis dit que ce serait pas mal de faire une pause et de quitter un peu les histoires de serial-killers dans le Nord. Ça faisait longtemps que j’avais envie de raconter une histoire d’amour. Tout s’est mélangé, et ça a donné Romance, qui est devenue ma série la plus personnelle.

Vous pouvez me dire pourquoi… ou c’est trop personnel ?
Plein de choses différentes… D’abord l’idéalisation de la femme. Dans ma vie d’adolescent et de jeune adulte, j’ai toujours préféré l’approche amoureuse et le sentiment amoureux au passage à l’acte. J’avais envie de faire une série qui explore ça. Dans les premiers épisodes de Romance, Jérémy suit Alice, il la regarde de loin… C’est Vertigo, quoi.

Oui, et pas seulement d’un point de vue thématique, l’obsession d’un homme pour une inconnue. Dans les choix de mise en scène aussi…
Vertigo est mon film préféré de tous les temps. C’est une grammaire filmique qui est tellement gravée en moi… Je ne me suis pas demandé comment aurait filmé Hitchcock, mais j’avais des choses qui me revenaient. La scène de Vertigo où Scottie suit Madeleine dans une pension, et qu’elle monte à l’étage et ouvre la fenêtre… il y a la même dans Romance. La scène du meurtre, les filatures évidemment, sont très hitchcockiennes. Le phare aussi, qui est limite lourdingue, mais c’est fait exprès. À un moment je me suis dit joue le jeu à fond. T’es dans les années 60, filme comme si tu étais réalisateur dans les années 60. Les scènes d’amour par exemple, j’ai refusé de les faire torrides, elles sont très soft et très chastes.

« Romance est une série idéaliste au premier sens du terme »

Vous n’aviez pas peur de l’excès de citations ?
J’assume totalement. Ça a été un tel plaisir pour moi de faire Romance… Je crois que ça m’a permis de digérer toutes ces influences hitchcockiennes que je baladais depuis des années. Vous savez, j’ai démarré assez tard, ça fait à peine douze-treize ans que je fais des séries, et au début je ne savais pas trop ce que j’étais capable de faire. À l’époque des Oubliées, je filmais de façon assez chaotique, avec deux caméras, ça bougeait beaucoup… Pour Romance j’ai beaucoup travaillé la question du point de vue. Ce que voit Jérémy, la valeur des plans, le choix des focales, le choix des cadres, c’est très hitchcockien… Chaque scène était conçue comme ça, et ça marchait ou ça ne marchait pas. Il n’y avait pas de deuxième caméra pour rattraper le coup. Tous les plans tournés sont dans la série. J’ai pris plus de risques, mais je me suis éclaté. D’ailleurs Vertigo n’est pas ma seule influence, il y a aussi Plein Soleil

Oui, un Plein Soleil sur la côte basque… Pourquoi avoir choisi Biarritz plutôt que la Côte d’Azur ?
Je voulais vraiment que ça se passe là, pour la violence de la nature, les vagues qui s’écrasent sur les rochers. Ça s’appelle Romance, c’est une histoire d’amour violente, passionnelle, il fallait que la nature soit passionnelle aussi.

Il faut que je vous dise, je vous appelle de Biarritz… Pas des années 60, hein ! Mais il se trouve que c’est ma région d’origine. Pouvez-vous me dire où se situe la maison incroyable de Romance ? Je ne l’ai pas reconnue…
Je vais vous décevoir, mais elle n’existe pas. J’ai longtemps cherché la maison de Chris à Biarritz, j’en avais trouvé une, mais finalement le propriétaire ne voulait plus la louer. Du coup j’ai trouvé une maison à Fréjus. Tout l’extérieur, la façade, la piscine, l’allée, c’est Fréjus, et nous avons intégré des éléments, notamment des fleurs, qui sont propres à Biarritz. Les intérieurs ont été filmés en région parisienne. Et pour les prises de vue aériennes, c’est Biarritz, et nous avons intégré la maison en images de synthèse par-dessus. Il y a beaucoup d’effets spéciaux dans la série.

Finalement c’est assez raccord avec ce trouble référentiel, l’océan sauvage du San Francisco de Vertigo et la Méditerranée rayonnante de Plein Soleil…
C’était l’idée. Créer un vague sentiment d’irréalité, un peu comme si Jérémy plongeait dans un rêve éveillé.

Un rêve, et un voyage dans le temps ! C’est un motif également très référencé… Aviez-vous des repères en la matière, comme Retour vers le futur, ou Peggy Sue s’est mariée ?
Pas vraiment. Je ne me suis pas inspiré de Retour vers le futur, à part un ou deux clins d’œil. J’adore la thématique du voyage dans le temps, mais dans Romance, c’est un prétexte, pas vraiment le sujet de la série. Jérémy ne s’en sert qu’une ou deux fois, de façon assez anecdotique. Je n’ai pas voulu faire de la SF, je ne suis pas allé dans les paradoxes temporels… Je me suis plutôt dit que j’allais utiliser le voyage dans le temps comme Woody Allen l’écran de cinéma dans La Rose Pourpre du Caire. Elle rentre dedans, et c’est parti. Romance est une série idéaliste au premier sens du terme, qui dit que les idées peuvent être parfois plus réelles que les faits. Le personnage de Simon Abkarian cite Simone de Beauvoir : « Un homme et une femme qui s’aiment s’affranchissent de l’espace et du temps, ils réalisent l’absolu. » La musique et l’amour font vraiment voyager dans le temps..

Il faut dire aussi que Jérémy se trouve très bien dans les années 60, donc le retour au présent n’est pas un enjeu central…
C’est totalement ça l’idée. C’est avant tout l’histoire d’un homme qui n’est pas bien dans son époque, et qui plonge dans son fantasme d’idéal féminin et dans son fantasme des années 60, qui n’est pas forcément la réalité des années 60.

Vous êtes né en 1963. Cette nostalgie du monde de votre enfance, vous la partagez ?
Non pas du tout. C’est une période qui me plaît beaucoup visuellement, mais je ne suis pas du tout nostalgique des années 60 et je suis très bien dans mon époque. C’est quelque chose de plus large que ça. Jérémy, c’est quelqu’un qui est capable de quitter la réalité pour aller dans d’autres mondes. Et ça c’est un truc que je fais tout le temps. En tant qu’auteur, on voyage en permanence dans l’espace et le temps. C’est une autre raison qui fait que cette série m’est très personnelle.

« Quand on plonge dans son fantasme, la réalité vous rattrape toujours. »

Elle l’est aussi parce que vous êtes seul maître à bord. Pourquoi ne pas avoir réitéré le binôme auteur-réalisateur que vous formez d’habitude avec Marc Herpoux ?
C’est logique que les gens se disent c’est Hadmar-Herpoux, lui il est scénariste donc lui il est réalisateur. Mais en réalité, à la base, je suis plus scénariste que réalisateur. Marc et moi, il n’y a que Pigalle, la nuit et Signature qu’on a vraiment écrites ensemble. Sur les autres séries, on concevait ensemble les épisodes, la structure, mais par exemple Les Témoins, je l’ai écrite tout seul, alors que pour Au-delà des murs, il a plus écrit que moi… Chaque série a eu une histoire différente. Jusqu’à présent les circonstances ont voulu que ce soient plutôt nos projets communs qui aboutissent. Mais j’ai toujours eu plusieurs projets en même temps, certains avec Marc et d’autres non.

Après Signature, qui partait assez loin en termes créatifs, et Les Témoins, qui s’inscrit dans un genre plus codifié, avait-vous eu des discussions avec France 2 sur les limites de votre liberté et le rapport à l’audience ?
Non, ils m’ont fait totalement confiance. J’aime bien mettre de la poésie dans ce que je fais, mais ça vient après. Ce qu’ils achètent au départ, c’est un concept qui fait envie. C’est une histoire d’amour, ça va s’appeler Romance, c’est un homme qui voyage dans le temps pour retrouver une femme, dans les années 60… Et puis petit à petit je les embarque dans mon univers. Et même si ce n’est pas l’opération du siècle en termes d’audiences pour eux, il y a le retour critique. C’est important aussi pour un diffuseur d’entendre « j’ai vu ce que tu as mis sur ta chaîne, qu’est-ce que c’est bien ! ». C’est important qu’on parle du service public comme ça.

C’est votre quatrième collaboration avec France Télévisions. C’est essentiel pour vous, de rester fidèle au service public à un moment où tout le monde se rue sur les plateformes ?
Je suis très attaché à la notion de service public, j’ai toujours voulu travailler pour le service public. Mais j’ai adoré aussi travailler avec Canal (Pigalle, la nuit) et Arte (Au-delà des murs)… et il se trouve que ma prochaine série sera pour une plateforme. Et ça se passe très bien ! La crise que nous traversons accélère l’évolution de la consommation de fiction, et je pense malheureusement que le feuilletonnant à 20h50, ça va devenir de plus en plus compliqué. Les gens ne supportent plus de ne pas avoir toute la série tout de suite. D’ailleurs les audiences de Romance à l’antenne ne sont pas top, alors qu’en replay les chiffres sont incroyables. À l’arrivée, c’est plus une série de plateforme qu’une série de prime time.

Pour revenir à votre première réponse sur l’idéalisation, Jérémy suit Alice à son insu, Chris la traite comme sa propriété… Vouliez-vous aussi critiquer le comportement de ces hommes qui réduisent cette femme à un fantasme ?
Bien sûr. À partir de quand, homme ou femme, fait-on de quelqu’un un objet ? On peut considérer que le père de Chris a fait de son fils un objet. On peut considérer que Chris fait d’Alice un objet, puisqu’il s’agit à travers elle de séduire son père. On peut considérer évidemment que Jérémy fait d’Alice l’objet de tous ses fantasmes. Il est plus que limite parfois. Mais quand on plonge dans son fantasme, la réalité vous rattrape toujours. L’idée c’était de mettre en scène une femme qu’on fantasme, une femme qu’on a envie de suivre jusqu’au bout du monde, et puis plus on la découvre, plus on découvre quelqu’un qui a une histoire, une tragédie, des faiblesses, des forces, une complexité… Alors on peut véritablement tomber amoureux d’une personne, et plus d’une image.

Romance, 6×52 mn, en cours de diffusion sur France 2 (épisodes 2 et 3 le mercredi 17 juin, épisodes 3 et 4 le mercredi 24 juin) et disponible en Replay.

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Disponible sur Mubi

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