Euphoria : Épisode spécial

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Sans attendre une saison 2 repoussée en raison du Covid, Sam Levinson nous offre deux épisodes spéciaux d’Euphoria, dont le premier est d’ores et déjà disponible sur OCS. Un exercice de style déroutant, où la parole prend le pas sur les effets de mise en scène. À voir les oreilles grandes ouvertes.

Par Paul Gombert & Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Euphoria : Épisode spécial

Bande-Annonce

Euphoria confinée ? Voilà qui sonne comme un oxymore, tant la série de Sam Levinson a repoussé les murs de la fiction adolescente, à coup d’explosions visuelles et de personnages hors cadre. C’est pourtant sous la forme d’un huis clos, étonnamment sobre de la part de ce show d’ordinaire flamboyant, que se présente l’épisode spécial concocté par le showrunner en guise de cadeau de Noël. Pendant une heure, on est enfermé dans un diner avec Rue, l’héroïne toxico incarnée par Zendaya, et Ali (Colman Domingo), son parrain de désintoxication, que la jeune femme a appelé au milieu de la nuit pour lui confier ses états d’âme. Une heure de dialogues ininterrompus et de champ/contre-champs cafardeux glissant sur la vitrine du restaurant désert : oui, Trouble Don’t Last Always (Le Malheur n’est pas éternel en VF) est bien un épisode de confinement.

C’est d’ailleurs parce que la production de la saison 2 avait été suspendue par le Covid que Sam Levinson a décidé de mettre en boîte deux épisodes intermédiaires (le second, centré sur Jules, sera visible après les fêtes). Pour faire patienter les fans, mais aussi pour ne pas laisser passer trop de temps sans filmer les visages de Zendaya et Hunter Schafer, elles qui déjà, dans la vie, ne sont plus des ados. Comment se permettre de sauter une année quand on filme la jeunesse ? L’urgence était si forte que Sam Levinson a même réussi, au printemps dernier, à mettre en scène Zendaya une première fois dans Malcom & Marie, un film de confinement sur un couple en crise, avec aussi John David Washington, à voir sur Netflix en 2021.

« Cet épisode, où la parole prend le pas sur les déflagrations visuelles, pourra déstabiliser les habitués »

Restrictions sanitaires obligent, Sam Levinson a choisi pour cet épisode un dispositif minimaliste : la conversation au diner, quasi-poncif du cinéma pop depuis Reservoir Dogs. Ce cliché, Euphoria parvient à le faire sien en y injectant sa mélancolie, sa vision presque flottante d’un monde désenchanté, où le spleen et la douceur ont remplacé l’ironie vibrionnante tarantinienne. Alors oui, cet épisode, où la parole prend le pas sur les déflagrations visuelles, pourra déstabiliser les habitués. Oui, sur le papier, une heure de bla-bla ça peut paraître long (même si on a un droit à un bel entracte musical à mi-chemin). Et pourtant Levinson prend le risque, et il a raison. Car ce qu’il donne à voir et à entendre dans ce box de diner qui finit par ressembler au cabinet du psy d’In Treatment, c’est l’essence d’Euphoria : le visage et la voix d’une jeune femme, ses mensonges et sa vérité. Cette voix, qui adopte le off du récit dans les épisodes habituels, devient ici une source directe, à laquelle on puise la souffrance existentielle de Rue, et la tentation du désespoir de toute une génération.

« Tu peux dire que l’abstinence est ma meilleure arme, mais sans la drogue, je me serais déjà flinguée », lance Rue à Ali au début de l’épisode. La suite, qui ressemble à la séance d’un thérapeute avec sa patiente, s’adresse à l’époque toute entière : face au pessimisme de Rue, Ali n’aura de cesse de donner du sens à ses idées noires, de les recontextualiser, de les dédramatiser, de les renvoyer d’où elles viennent. D’essayer, en somme, de faire naître une lueur d’espoir, à l’image de ce diner tout allumé au milieu de la nuit, parfois filmé de l’extérieur comme dans le célèbre tableau Nighthawks d’Edward Hopper. Que le dénuement du confinement serve au moins à cela : revenir à l’essentiel, écouter la voix de celui ou celle qui nous parle, et recevoir la même chose en échange.

L’épisode spécial d’Euphoria est actuellement disponible sur OCS

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