Dickinson – Poétesse punk

Meilleure surprise de la nouvelle plateforme Apple, la première série d’Alena Smith
frappe fort et propose une version pop et teenage de la vie de la poétesse américaine
Emily Dickinson sur fond de Guerre de Sécession et d’amours saphiques.

Par Garance Lunven

Temps de lecture 5 min.

Dickinson

Bande-Annonce

Si Netflix se revendique maître en la matière en terme de thématiques progressistes grâce à des séries LGBTQIA+ friendly et féministes, l’Apple TV+ semble marcher dangereusement sur les plates-bandes de son concurrent depuis son lancement. Au programme de ce nouveau bouquet de séries : héroïnes affirmées, scandales de harcèlement sexuel et casting engagé. Notamment Reese Witherspoon, dont les convictions sont claires depuis son rôle dans Big Little Lies, qui revient aux côtés de Jennifer Aniston dans Morning Show (voir notre critique). Dans cette création vedette d’Apple TV+, il est question d’inconduite sexuelle dans les médias à travers un duo d’animatrices d’une émission matinale. Mais la série peine à convaincre malgré son budget exorbitant de 15 millions de dollars…

Malgré un bilan mitigé et quelques déceptions, une création plus discrète et moins onéreuse vaut cependant le coup d’œil. Sous la caméra d’Alena Smith (scénariste sur The Affair ou My America), la jeune Hailee Steinfeld (True Grit) incarne la poétesse américaine Emily Dickinson. Et le résultat est détonnant. Assemblage chimérique entre plusieurs genres, Dickinson flirte à la fois avec la comédie, le teen show et la série d’époque. Ce qui fait sa force réside dans le même procédé déjà utilisé par Sofia Coppola dans Marie-Antoinette. Allier les codes d’une époque historique aux conventions modernes. Un anachronisme qui n’avait pas manqué de surprendre en 2006 lors de la sortie du film. Ah cette paire de Converse qui trainait au pied des corsets et perruques poudrées. Dans la même optique, Alena Smith fait twerker la jeune Emily Dickinson du milieu du XIXe siècle sur les paroles de la rappeuse Lizzo.

Un drama sur une crise d’ado au XIXe siècle.
Version mariage arrangé et tâches ménagères obligatoires.

Révisionnisme pop

« Les historiens me tomberont sans doute dessus » disait Sofia Coppola lors de la fin de tournage de Marie-Antoinette. Même question pour Dickinson, sur lequel il vaut donc mieux éviter d’apposer un regard de critique littéraire. Car la réalisatrice exerce une liberté de ton plutôt déconcertante, bien que les grandes lignes de la vie de la poétesse soient plutôt bien retranscrites. Éducation bourgeoise, relations familiales tumultueuses, amours saphiques et fascination pour la mort… On retrouve les motifs de son œuvre. Quant à l’apparition du rappeur Wiz Khalifa personnifiant la Mort dans une scène totalement délirante, on est plus sceptique…

Ces tableaux fantastiques apparaissent cependant comme un prétexte pour mettre en scène l’imaginaire de la jeune femme. Et nous permettre d’entrevoir son goût pour l’évasion et sa captivité dans une époque empesée. Un drama sur une crise d’ado au XIXe siècle. Version mariage arrangé et tâches ménagères obligatoires. Ça sonne parfois faux et ridiculement soapy, l’ironie constante faisant qu’on se demande même si la créatrice a confondu genre et procédé. Mais Dickinson effleure ainsi des thématiques modernes et met en scène une femme qui revendique son autonomie.

Délicieusement provocatrice, figure féministe avant-gardiste, Emily Dickinson résonne avec Jane Austen, Mary Shelley et toutes ces femmes écrivaines qui ont bravé le patriarcat pour se faire un nom. Chacune d’entre elles ont d’ailleurs fait l’objet de nombreuses adaptations, dont la plus récente Mary Shelley (2017) témoignait de la difficulté de publier en tant que femme. Quant à Emily Dickinson, elle semble avoir suscité un regain d’intérêt chez les cinéastes, puisque deux biopics sont sortis dans les salles en 2016 (Emily Dickinson, A quiet Passion) et 2018 (Wild nights with Emily). Respectivement poétique et comique, les films mettent en lumière le potentiel disruptif de la poétesse. Ce que parvient très bien à capturer la série Dickinson. Si l’on est bien sûr disposé à adopter une bonne dose de second, voire de troisième degré. Le show est saturé d’imperfections et de maladresses, mais on ne peut que savourer ce bonbon acidulé qui porte un regard tendre sur une jeune femme en pleine transition.

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