Curb Your Enthusiasm – (Larry et son nombril)

L’humoriste new-yorkais est de retour sur HBO, et sur OCS en US+24,
pour une saison 10 d’une actualité féroce reboosté par #MeToo.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Curb Your
Enthusiasm S10

Bande Annonce

Homme, vieux, blanc, hétérosexuel et millionnaire : en 2020, Larry David a tout faux. Mais ne comptez pas sur lui pour se creuser une tombe. Dans la dixième saison de Curb your enthusiasm (Larry et son nombril en VF), la comédie autofictionnelle dont le cocréateur de Seinfeld nous régale depuis déjà 17 ans, le septuagénaire à la dégaine adolescente fait de son inadéquation à l’époque le principal ressort comique. Et boom ! La friction entre ses réflexes de sale gosse embourgeoisé et les attentes de la sociabilité woke ranime la série, dont les deux dernières saisons, en 2011 et 2017, manquaient un peu de souffle.

Revoici donc Larry David remonté à bloc, et c’est très, très drôle. Partant d’un projet acrobatique – en découdre avec les us et coutumes post-Me Too – David et ses deux co-auteurs, Steve Leff et Jeff Schaffer, ont le bon goût de ne pas y aller avec le dos de la cuiller. Première scène ? En balade avec Leon (excellent J.B. Smoove), le pote afro-américain qu’il héberge depuis plusieurs saisons, le voilà qui fracasse sans autre forme de commentaire la perche à selfie de deux innocents. Le tout juste après avoir demandé à Leon s’il était satisfait de sa couleur de peau… Et ça, c’est avant que Larry David se retrouve doublement incriminé pour harcèlement, soupçonné d’être copain avec Harvey Weinstein (on vous laisse découvrir par quel concours de circonstances), qu’il entreprenne badinement l’actrice Laverne Cox sur les détails de son changement de sexe, ou qu’il décide de filmer le consentement oral de sa copine à chaque étape de leur premier câlin pour se couvrir juridiquement.

Ne modérons pas notre enthousiasme
En seulement cinq épisodes d’une saison qui en comptera dix, l’inépuisable emmerdeur a déjà franchi pas mal de lignes rouges, pour notre plus grande hilarité. Encore fallait-il, pour que le dispositif soit pleinement jouissif, que Curb 10 ne sombre pas dans l’humour réactionnaire et froissé. Voir Larry David, ce type viscéralement exaspéré par son prochain, fouler aux pieds l’injonction à la bienveillance et les tendances les plus lénifiantes de l’époque, n’est drôle que parce qu’il ne se donne jamais le beau rôle. C’est même tout l’inverse : les mutations culturelles en cours lui donnent matière à gratiner encore un peu plus son autoportrait en misanthrope obsédé par son petit confort, qui passe son temps à régimenter les autres du haut de ses multiples privilèges.

Il y a quelque chose dans cette saison 10 qui tient de l’arroseur arrosé. Jusqu’à présent, la gêne, et donc le rire, naissaient de l’intransigeance de Larry David envers le laxisme d’autrui à l’égard des codes de bonne conduite dont il était le gardien ; désormais, ce qui est mis en question, c’est son indiscipline à lui vis-à-vis de nouveaux codes qui lui échappent. Quand il reproche ses variations de poids à sa dernière conquête, il passe pour un affreux jojo. Et quand il arbore une casquette Make America Great Again pour se débarrasser d’un déjeuner qui le fatigue d’avance, il questionne la mince frontière qui le sépare, lui le bourgeois de gauche, des bourgeois de l’autre camp. Trump lui-même s’y est trompé, se félicitant par tweet interposé du soutien de Larry David. Le malentendu démontre à quel point l’humour Curb, loin d’être anachronique, est encore furieusement actuel.

la série reste le poste d’observation
sans fin des petites tracasseries du quotidien

Une (autre) série sur rien
Actuel, et intemporel. Car en deçà de la conversation moment, la série reste le poste d’observation sans fin des petites tracasseries du quotidien, vues par un atrabilaire phobique qui n’aime rien plus que de tromper l’ennui en se montant le bourrichon pour de micro-évènements. Chaque épisode est, comme il se doit, construit sur un imbroglio à plusieurs entrées dont les pièces s’emboîtent impeccablement à la fin. En vrai, il ne se sera pas passé grand-chose… Série sur rien, comme sa prédécesseure Seinfeld, Curb your enthusiasm ne déçoit jamais quand il s’agit d’imaginer des histoires de tables bancales, de cafés tiédasses et autre chambre d’hôtel trop petite.

On avoue un plaisir tout particulier à voir Larry provoquer délibérément la colère de Susie (génialissime Susie Essman), la femme de son ami Jeff, juste pour passer le temps. Face à tant de vigueur dans le mauvais esprit, on a envie de s’exclamer : « Sacré boomer ! ».

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