Mr Corman sur Apple TV+

Joseph Gordon-Levitt, option humanisme

Acteur émérite chez Gregg Araki ou Christopher Nolan, Joseph Gordon-Levitt confirme sa fibre d’auteur avec Mr Corman, série qu’il a créée, écrite, réalisée, et dans laquelle il tient le rôle-titre. En racontant les états d’âme d’un instit californien, il impose un style poétique, qui met l’humain au centre.

Par Quentin Moyon

29 juillet 2021
Temps de lecture 5 min

Mr Corman

Bande-Annonce

« Qui pense qu’il a de la chance ? » Trois minutes vingt précisément suffisent à Joseph Gordon-Levitt pour nous embarquer dans son univers, et poser avec délicatesse et précision le sujet de Mr Corman, sa première série (disponible sur Apple TV+). En guise d’ouverture, une scène de douche musicale, où des pectoraux font office de percussions, accompagnée de collages d’éléments graphiques issus de la culture occidentale… Josh Corman, interprété par Gordon-Levitt lui-même, déborde visiblement d’imagination. Mais voilà que sans transition, on plonge dans le quotidien plus terre-à-terre du personnage, instituteur dans le une classe de CM1 dans la San Fernando Valley. La leçon d’histoire porte sur le duo Lewis et Clarke, meneurs de la première traversée terrestre des États-Unis entre 1804 et 1806, et le prof lui donne vite un tour philosophique. « Qui pense qu’il a de la chance ? », lance-t-il à ses élèves. Un seul doigt se lève. La plupart de ces très jeunes enfants s’estiment déjà malchanceux. Dans Mr Corman, il sera donc question de pessimisme. Mais aussi de créativité et d’expérimentation. Le tout guidé par un humanisme à toute épreuve.

En dix épisodes d’une trentaine de minutes, la série nous fait suivre au plus près la vie de Josh Corman, sa colocation avec l’hilarant Arturo Castro (Broad City), son implication dans l’éducation des enfants, mais aussi ses angoisses d’avoir abandonné sa passion, la musique, et perdu son amour de jeunesse Megan (Juno Temple, qui, après Ted Lasso, s’installe décidément sur Apple TV+). À travers ce personnage, on devine une forme d’autoportrait de Joseph Gordon-Levitt, acteur devenu auteur qui assume ici pleinement, à 40 ans, sa fibre artistique. Comédien depuis l’âge de sept ans dans des séries et des téléfilms, découvert par le cinéma d’auteur en 2004, quand il joue un ado branché ovnis dans Mysterious Skin, de Gregg Araki, cet enfant de la balle (son grand-père Michael était réalisateur) s’est fait une place solide à Hollywood, notamment en devenant un familier des films de Christopher Nolan (Inception, The Dark Knight Rises). Mais sa trajectoire d’acteur bankable se double dès le début d’une quête artistique plus atypique. En 2005, il fonde avec son frère Dan un site Internet, HitRecord, où ils partagent leurs créations vidéo. Cinq ans plus tard, le site devient une plateforme collaborative destinée à produire et diffuser les œuvres d’art de milliers de contributeurs. Court-métrages, mais aussi textes, chansons, danse, créations multimédia… Le site compte aujourd’hui 80 000 membres.

Cette vision de l’art, plurielle et généreuse, se reflète dans le personnage de Mr Corman, instit’ donc passeur, mais aussi musicien et rêveur invétéré. Et irrigue la série toute entière, qui regorge de fantaisie et d’onirisme. Joseph Gordon-Levitt s’adonne notamment à son amour du collage, déjà manifeste dans son court-métrage Morgan M. Morgansen’s Date with Destiny (2010), qui nous plongeait dans le romantisme francophone d’une autre époque. Celui de Méliès. Celui de Brel (que Gordon-Levitt chante à la perfection ici). Celui aussi de Boris Vian. Comme l’auteur de L’écume des jours, Joseph Gordon-Levitt instille dans le réel une certaine féérie, loin d’être gratuite. Dans Mr Corman, le recours au collage et aux floutés psychédéliques, souvent en début d’épisode, nous fait naviguer entre le monde réel et l’univers de l’enfance et du merveilleux. Ce décalage surréaliste permet à l’auteur d’inspecter la psyché de son personnage, tiraillé entre ses rêves et la réalité ; et de nous donner à voir son mal-être. Le premier long-métrage de Joseph Gordon-Levitt, l’incompris Don Jon (2013), questionnait déjà l’injonction au paraître et au bonheur, la difficulté d’être soi-même dans la société contemporaine, et le risque de l’addiction pour fuir la pression sociale (au porno dans Don Jon succède la drogue dans Mr Corman). Dans son monde, l’humain lambda, le poète, et le raté mélancolique ne font qu’un.

Le romantisme imbibé de spleen baudelairien que Gordon-Levitt incarnait en tant qu’acteur dans la comédie romantique culte (500) jours ensemble (2009), on le retrouve dans ses œuvres à lui. Un mal de vivre teinté de fatalisme, qui cohabite paradoxalement avec une rage de vivre et l’espoir d’un futur idéal. Dans le film de Jonathan Levine 50/50 (2011), Joseph Gordon-Levitt jouait un jeune homme qui se battait contre le cancer et s’interrogeait sur le sens profond de la vie. Dans Mr Corman, il prête à son personnage une mélancolie latente qui lui donne des crises de panique, mais démontre aussi que ses tourments existentialistes sont le terreau de sa créativité. Cette introspection n’est pas fermée sur elle-même, mais ouverte aux autres et curieuse de son prochain. De HitRecord à Mr Corman, le « gordon-levittisme » est bel et bien un humanisme.

Mr. Corman est actuellement disponible sur Apple TV+

HitRecord : https://hitrecord.org/

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