Black Earth Rising

Dans la violence de l’histoire

Série. Intense et hors norme, la nouvelle série de Hugo Blick (Honnorable Woman) évoque le génocide au Rwanda avec nuances et conviction.

Temps de lecture 3min

 Par Pauline Le Gall

Une avocate blanche, arborant un air sévère et un tailleur tiré à quatre épingles, donne une conférence autour des procès auxquels elle a participé à la Cour pénale internationale de la Haye. Un jeune homme noir l’alpague et lui demande s’il ne serait pas plus logique de laisser les pays africains trouver « des solutions africaines » à leurs problèmes. Légèrement embarrassée, l’avocate se perd en explications nébuleuses avant de se défendre avec un argument particulièrement bancal : sa propre fille adoptive est rescapée du génocide rwandais. Qui mieux qu’elle pourrait faire le lien entre l’Afrique et l’Europe ? La série Black Earth Rising, coproduite par Netflix et la BBC s’ouvre sur cette scène particulièrement saisissante. Comme si le réalisateur Hugo Blick avait voulu faire son autocritique, en tant que britannique blanc showrunner d’une série sur un pays africain ? Ou nous montre-t-il, au contraire, qu’il sait ce qu’il fait et qu’il compte raconter le génocide rwandais avec l’objectivité d’un homme libéré de ses affects ?

“fresque complexe et nuancée du génocide rwandais”

Quoi qu’il en soit, Blick n’est pas de ceux qui se facilitent la tâche. Quatre ans après avoir traité le très délicat sujet du conflit israélo-palestinien dans The Honourable Woman, il tisse avec Black Earth Rising une fresque complexe et nuancée du génocide rwandais. Une page d’histoire peu traitée en fiction, encore moins dans le cadre d’une série télévisée. Blick tente un numéro d’équilibriste en mêlant réalité et invention, tout en intégrant assez de suspense et de rythme pour tenir les spectateurs en haleine sur un sujet géopolitique pointu. Black Earth Rising prend donc pour point de départ la conférence de la brillante avocate Eve Ashby. Cette dernière vient d’accepter de plaider contre un ancien général Tutsi qui a certes participé à arrêter le génocide, mais qui est aussi accusé de crimes de guerre commis plus tard en République Démocratique du Congo. Sa fille adoptive, Kate (Michaela Coel découverte dans la série burlesque Chewing Gum), une enquêtrice souffrant de la « culpabilité du survivant », ne voit pas les choses du même œil. Elle prend le procès contre ce héros Tutsi comme une trahison, alors qu’elle a elle-même survécu de justesse au génocide. Elle claque la porte au nez de sa mère, qui sera assassinée à peine arrivée à La Haye.

Au-delà des apparences
Kate se lance alors dans une longue investigation en forme de quête initiatique qui va la mener à explorer le rôle de la France et de l’Angleterre dans le conflit. Comme les tentatives actuelles du Rwanda pour obtenir son indépendance financière et tourner une page de son histoire. Elle sera aidée par un avocat plein d’humour : Michael Ennis campé par l’immense John Goodman (The Big Lebowski, The Artist, Inside Llewyn Davis…). Un « sauveur blanc » à la rescousse de Kate ? Pas du tout. Hugo Blick évite cet écueil. Le parcours de Michael est loin d’être exemplaire et il navigue lui aussi dans un océan de névroses. La série évoque les rapports entre l’Europe et l’Afrique, entre les Hutu et les Tutsi, entre une mère et sa fille adoptive, entre un mentor vieillissant et une jeune employée avec le même leitmotiv : il faut se méfier des apparences. Les personnages, souvent filmés face à face dans une symétrie parfaite cachent tous des zones grises évoquées par une photo en clair obscur. Au terme de huit épisodes haletants on peut reposer la question qui ouvrait la série. Faut-il forcément un réalisateur rwandais pour traiter des problèmes rwandais ? Blick démontre que non.

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