Douglas Trumbull, le magicien

2001, Blade Runner, Rencontre du 3éme type…

Film. Un documentaire raconte Douglas Trumbull, l’homme derrière les effets spéciaux de 2001 l’Odyssée de l’espace ou Blade Runner. Rencontre avec un visionnaire qui, à 76 ans, veut encore révolutionner le cinéma.

Temps de lecture 8min

Par Julien Solal

2001 l’Odyssée de l’espace, Rencontres du 3e type, Star Trek, BladeRunner, Tree of life… Le CV de Douglas Trumbull, 76 ans, figure légendaire des effets spéciaux et visuels, se concentre sur une petite poignée de titres. Mais quels titres ! Egalement réalisateur, dans les années 70 et 80, des visionnaires Silent Running (space opera post-apocalyptique écolo) et Brainstorm (ancêtre du Strange Days de Kathryn Bigelow), Trumbull a signé parmi les plans les plus inoubliables des chefs-d’œuvre mentionnés plus haut.

“passionné de science-fiction, cet inlassable explorateur teste depuis plus de dix ans un format sans précédent de prise de vue haute définition et de projection en 120 images/secondes ”

Avec, à chaque fois, un design organique et luminescent qui n’appartient qu’à cet amoureux des effets photographiques et pratiques, peu adepte des images de synthèse. La porte des étoiles dans le final de 2001, les vaisseaux spatiaux de Rencontres…, l’ouverture flamboyante de Blade Runner, la fin de notre univers dans Tree of life… c’est lui. Victime parfois de son tempérament sans compromis, Trumbull est aussi un cas à part à Hollywood. Croisement de Méliès et Terry Gilliam, c’est une forte tête qui n’en fait qu’à la sienne, un révolutionnaire face au système et ses conventions. Homme d’affaires (il a fusionné sa société de production avec Imax en 1994), passionné de science-fiction, cet inlassable explorateur teste depuis plus de dix ans un format sans précédent de prise de vue haute définition et de projection en 120 images/secondes : le système MAGI. Retiré dans le Massachussetts, loin de cet Hollywood qui l’a tant malmené, il garde un cruel souvenir de son combat contre le studio MGM pour finir et sortir Brainstorm en 1983. Trumbull poursuit minutieusement ses recherches sur le prochain stade d’évolution des images. Tel un savant fou retranché dans son coin de forêt, il tente de mettre au point technologiquement et commercialement sa “recette” pour un retour du grand cinéma immersif à destination d’un nouveau type de salles. Un documentaire signé du français Grégory Wallet, pour la chaîne TCM Cinéma*, nous donne l’occasion de découvrir l’antre du magicien Trumbull, ses rêves et ses projets : un privilège rare accordé par ce légendaire Merlin généralement très discret. Fils du responsable des effets visuels du Magicien d’Oz, Douglas Trumbull déteste décortiquer son passé, préférant se concentrer sur un avenir où il souhaite ardemment compter de nouveau. La preuve avec cet entretien réalisé lors du dernier Festival Lumière de Lyon, où l’artisan du futur était invité à l’occasion d’une nouvelle projection de ce 2001 l’odyssée de l’espace qui l’a bouleversé.

 

Pourquoi avoir accepté que le français Grégory Wallet réalise un documentaire sur vous ?

J’ai souvent été sollicité pour cet exercice et j’ai toujours refusé parce que j’avais l’impression que les gens ne s’intéressaient qu’à ma casquette de spécialiste des effets spéciaux. A chaque fois, on veut me faire parler encore et toujours de 2001, Rencontres du 3e type ou Blade Runner. J’estime que ce n’est pas le fond de mon travail. Pour moi les effets visuels ne sont pas un département à part dans tout le processus d’illusion que représente un film, ils jouent leur rôle d’illusion au même titre que les costumes, décors, accessoires, la lumière etc… Je les envisage en tant que metteur en scène, pas spécialiste technique. Gregory Wallet, lui, me voyait comme un réalisateur de films et non pas un spécialiste des effets spéciaux. Il voulait savoir qui j’étais et pourquoi je fais ce métier. J’ai senti que son approche serait honnête, et donc que je pouvais lui ouvrir mes archives, mon studio, ma maison et lui laisser tourner ce qu’il veut. C’était une première pour moi.

 

Vous êtes certes réalisateur, mais de films à effets spéciaux/visuels, c’est difficile de vous aborder par un autre angle…

C’est vrai que j’ai toujours été intéressé par la science-fiction, le futur, l’espace, mes films tendent vers cela. Je ne serais pas le réalisateur idéal pour faire un western, braquer une caméra sur un acteur en décors réel m’ennuie profondément. Ce n’est pas du snobisme de ma part, je ne suis pas élitiste, c’est juste que j’adore le challenge de proposer au spectateur des images qu’il n’a jamais vues avant. C’est une nouvelle frontière que je veux explorer sans arrêt… et ça, je l’ai appris avec Stanley Kubrick. Sur 2001, sa volonté constante de repousser les limites connues des effets spéciaux, de la pellicule, des objectifs de caméra, des plateaux rotatifs… Cela m’a marqué à jamais. J’ai hélas découvert par la suite que plus personne ne veut prendre ces risques-là dans cette industrie. La plupart des films sont organisés, budgétisés… l’idée de tenter des expériences qui pourraient échouer est inconcevable aux yeux des studios.

 

Il y a quand même eu d’autres révolutions technologiques au cinéma depuis 2001

Oui, bien sûr, James Cameron notamment explore de nouvelles technologies à chaque nouveau film. Il a pris énormément de risques avec Titanic et Avatar. Je pense aussi à Gravity en 2013. Voilà une façon totalement neuve et unique de faire un film, celle d’un maître. Alfonso Cuaron savait exactement ce qu’il faisait. Tout fonctionne dans Gravity !

 

Cette année, à l’occasion des 50 ans de 2001, Warner et Christopher Nolan ont proposé au festival de Cannes une version argentique en 70 mm, tirée à partir du négatif original, pour replonger le spectateur dans les mêmes conditions de projection que celles de 1968. Avez vous vu cette version ?

Oui et contrairement à ce qu’ils disent, je ne pense pas que la colorimétrie de la version proposée par Nolan soit correcte. Je ne veux pas me lancer dans une polémique avec Warner et Christopher Nolan, d’autant que voici quelques années, j’ai essayé de faire un documentaire sur le tournage de 2001, en collaboration avec Warner, qui s’intitulait “The Making of a masterpiece”. Ça ne s’est pas fait. Je voulais retrouver des scènes du film coupées au montage, dans le prologue notamment. Après quelques recherches dans les archives numériques, quelqu’un chez Warner a retrouvé le master original sur pellicule de tout le film, conservé dans une mine de sel au Kansas. C’était la meilleure source possible et la plus fidèle à l’image du film mais son utilisation aurait impliqué un procédé de restauration digitale extrêmement coûteux et le studio n’a pas voulu engager cette dépense. La “recréation photochimique” de Nolan a été réalisée à partir d’interpositifs et de négatifs qu’ils avaient déjà sous la main et ils ont fait au mieux avec. Warner n’admettra jamais qu’ils ont les masters originaux de 2001 l’Odyssée de l’espace, parce qu’ils coûteraient trop cher à restaurer. Ce n’est plus à moi de mener ce combat et de toute façon, ce film a 50 ans, il est temps d’arrêter d’essayer de déterrer le passé. Créons de nouveaux films encore plus ambitieux, explorons une nouvelle ère !

 

Quel est votre regard sur l’usage des images de synthèses dans les productions Marvel par exemple ?

Ils font très bien ce qu’ils font, ils ont créé un style visuel bien précis, une “matrice” qui gère la direction artistique de leurs images de synthèse. Ils ont les moyens de multiplier les décors virtuels sur fond vert, les explosions et des plateaux bizarres de toute sorte, c’est amusant à regarder. Mais leurs films ne m’intéressent pas pour autant, ce sont des comic books fantaisistes, avec des dialogues humoristiques, des blagues, des animaux qui parlent, des monstres… C’est pas mon truc. Mais encore une fois, ils font ça très bien et ils répondent à une aspiration du public qui veut être transporté dans d’autres mondes.

 

Vous et Hollywood, c’est définitivement fini ?

Non pas du tout. Mais je suis en train d’essayer d’accomplir la tâche la plus difficile de toute ma vie : changer la nature même de l’expérience cinématographique pour le public. J’expérimente depuis des années un nouveau type d’image cinéma, impliquant un plus grand nombre d’images par seconde et une plus haute résolution, pour une expérience radicalement immersive, comme le fut 2001 en son temps. Quand le film est sorti, il y avait des écrans Cinerama incurvés dans le monde entier, qui mesuraient jusqu’à 30 mètres de largeur. La plupart des multiplexes ont des écrans désormais plus étroits et rectangulaires. Parallèlement, les gens prennent l’habitude de voir les images sur des écrans de plus en plus petits avec Netflix, les smartphones, les tablettes… De nos jours, John Ford ou David Lean seraient horrifiés. Je veux aller dans la direction totalement opposée à cette tendance actuelle. Donc pour répondre à votre question, si un studio ou un réalisateur de films que je respecte s’adresse à moi pour m‘aider à porter le cinéma vers un prochain stade d’évolution, changer la nature même de l’expérience cinéma, et non pas juste réaliser des effets spéciaux, oui je serai ravi de travailler avec eux.

 

Vous dites même vouloir proposer un nouveau concept de salles, de quoi s’agit-il ?

Vous devriez voir ce que je prépare. Des salles avec un écran si large et si vaste, avec des places en courbe et un fort dénivelé, que tout le monde aurait une vue magnifique sur l’écran. Le nombre de places serait complètement adaptable, d’une dizaine à 300 sièges. J’ai fait récemment des découvertes fondamentales au sujet de la perception humaine des films. On peut avoir une expérience immersive profonde même dans une toute petite salle de 10 personnes.

 

Et toujours avec votre système de capture des images et de projection en haute définition MAGI ?

Oui, des prises de vue projetées à 120 images/seconde et en 4K, mais qui ne trahiront pas l’envie du spectateur de voir une image “cinéma”, qui correspond à une projection à 24 images/seconde et à laquelle nous sommes habitués depuis le cinéma parlant. L’erreur de Peter Jackson en tournant son Hobbit à 48 images/secondes est d’avoir négligé l’attachement du public à cette image cinéma. Il faut garder cet aspect, tout en solutionnant les problèmes de flou et autres effets stroboscopiques lors des mouvements de caméra. J’ai investi environ 10 millions de dollars de ma poche et 10 ans de ma vie, à concrétiser ce projet MAGI. Et je m’apprête à faire la démonstration de ma nouvelle technologie à tous les réalisateurs qui le souhaitent.

 

Quand ?

Avant la fin de l’année, je vais installer une salle de test à Hollywood pour montrer mon nouveau procédé aux studios, aux réalisateurs et aux exploitants. C’est un combat permanent parce que les gens dans cette industrie ont tellement peur du risque et du changement… tout en craignant l’effondrement de leur business model actuel. Je viens de rencontrer des responsables de distribution chez Warner et Disney, au dernier festival de Sitges. Ils sont terrifiés ! Leur monde s’effondre, de plus en plus de gens regardent les films sur des smartphones, tablettes, télés, même des montres… Le nombre de films programmables en salles continue de décliner et les studios sentent la menace de Netflix, Hulu et les autres plateformes qui permettent désormais un storytelling lowcost conçu pour de petits écrans. Sans se préoccuper d’une sortie salle, enfin sauf quand il s’agit d’être éligible aux Oscars. La seule solution pour sauver cette industrie est de trouver une nouvelle forme d’expérience cinéma, dans une salle de cinéma, j’en suis convaincu. Aller au cinéma doit redevenir une expérience spéciale. Si le cinéma veut redevenir un art important, son expérience en salle doit radicalement changer et ne plus rien avoir à voir avec la télé.

 

C’est pour prouver la viabilité de votre technologie que vous vous êtes remis à la mise en scène, avec votre projet Lightship ?

Oui, un scénario de 110 pages est quasiment prêt. Je l’envisage comme une grande épopée spatiale, sur la place de l’homme dans l’univers, la situation de notre planète. J’ai tourné une démo de 10 minutes et je serais ravi de pouvoir en faire un film avec l’aide d’un grand studio.

 

Au fait, vous croyez toujours aux Ovni ?

La vie dans l’univers ailleurs que sur Terre est absolument inévitable. Grâce au télescope spatial Kepler, on a découvert un nombre incroyable d’exo-planètes. Depuis ma participation à Rencontres du 3e type, je suis devenu très ami avec Jacques Vallée (l’ufologue qui servit de modèle à Steven Spielberg pour le personnage joué par François Truffaut dans le film – ndlr). Même si ça parait paradoxal, je crois en l’existence d’aliens qui nous observent tout en décidant de ne pas interférer dans le cours de notre histoire, mais qui s’autorisent des apparitions durant des épisodes nucléaires. Vallée est devenu un investisseur dans la Silicon Valley mais ils nous arrivent encore de chasser des Ovni ensemble, il y a des spots connus pour ça aux Etats-Unis, où plusieurs phénomènes étranges se sont déroulés. Je n’en ai jamais vu mais j’y crois, j’ai même passé un temps fou à essayer de les photographier.

 

*Douglas Trumbull, l’illusionniste du cinéma de Gregory Wallet (52’). Le 6 décembre sur TCM Cinéma.

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