STAN & OLLIE

Drôle de drame

Film. Plus de 60 ans après leur dernier tour de piste de Laurel et Hardy, ce biopic émouvant célèbre leur génie et leur humanité. John C. Reilly et Steve Coogan en état de grâce.

Temps de lecture 4min

Par Michaël Patin

Laurel et Hardy sont au sommet de leur gloire. Sur le plateau de Way Out West, le petit (Stan) essaye de convaincre le gros (Oliver, dit Ollie, dit Babe) de quitter le producteur-star Hal Roach pour voler de leurs propres ailes. Devant la frilosité de son compagnon et l’intransigeance de Roach, Stan claque la porte du studio. Flash forward : 1953. L’âge d’or est révolu. Afin de lever les fonds pour un long-métrage sur Robin des Bois, le duo part en tournée en Angleterre, où il triomphait encore quelques années plus tôt. Mais l’accueil a changé, le standing des hôtels a baissé et les premières salles sont presque vides… “Je croyais que vous étiez à la retraite”, leur lance une dame.

l’argument majeur du film : l’alchimie entre John C. Reilly et Steve Coogan.

On mesure souvent la réussite d’un biopic à ce qu’il choisit de ne pas dire et de ne pas montrer. En se fixant sur un épisode tardif et méconnu de leur longue carrière, Jon S. Baird (réalisateur) et Jeff Pope (scénariste) font confiance à l’intelligence et à la mémoire du spectateur (tout le monde a une image de Laurel et Hardy en tête) et évitent les pièges récurrents de l’exercice. Stan & Ollie n’est ni hagiographique, ni exhaustif, ni révisionniste, ni obsédé par la fiabilité documentaire. Le choix d’une lucarne étroite, d’un espace-temps serré, leur permet de déployer des thématiques universelles.

Laurèléardi
Il sera question d’hommes qui vieillissent derrière leurs personnages, des mécanismes fragiles et douloureux de la création, des ambitions qui sont autant de névroses (celles de Laurel, le génie créatif), de la joie de vivre qui n’est pas éternelle (celle de Hardy, pachydermique et cardiaque), de ce mélange d’amour et de ressentiment qui cimente les vieux couples, de la mélancolie des derniers levers de rideaux… Stan & Ollie vise le cœur de cet être bicéphale dont un critique des Cahiers du cinéma, inspiré, avait orthographié le nom “Laurèléardi”. Un mythe indivisible qui nous appartient tous.

Le réalisateur, transfuge de la télévision, respecte pourtant à la lettre les canons stylistiques hollywoodiens : propre et illustratif, pour ne pas dire un peu poussiéreux. La “production value” (costumes, décors, mouvements d’appareil) compte ici au moins autant que l’intention de mise en scène. Mais pour une fois, c’est un mal pour un bien : cette efficacité-là était non seulement nécessaire pour restituer la mécanique irrésistible des numéros de Laurel et Hardy, mais c’est aussi le signe d’une modestie bienvenue face à des personnages authentiquement géniaux.

 L’alchimie Reilly Coogan
C’est là qu’intervient l’argument majeur du film : l’alchimie entre John C. Reilly et Steve Coogan. On n’avait aucun doute sur la capacité de Reilly (Les frères Sisters, The Lobster, Frangins malgré eux…) à reproduire la présence du gros Ollie, aussi charmant et sensible dans l’intimité que son personnage était tyrannique à l’écran. Pour Coogan (Philomena, A Very English Man…), c’était une autre affaire. Tant l’Anglais a tendance à toujours à se (sur)jouer lui-même, quel que soit le contexte. Sa transformation en Laurel n’en est que plus époustouflante : en un clin d’œil, sans trahir le moindre effort, il glisse de l’homme (intelligent, mélancolique, d’une créativité sans limite) à son double de fiction (un mime rusé et pleurnicheur). L’immense respect dont jouit encore Stan Laurel chez les comiques anglo-saxons aura porté ses fruits : Steve Coogan a trouvé le rôle de sa vie.

“Les voir suffit, même s’ils ne font rien”, disait Pierre Etaix à propos de Laurel et Hardy. Derrière cette apparente simplicité se cachaient des mécanismes humains et artistiques complexes, que cet émouvant Stan & Ollie vient dévoiler avec justesse, à défaut de virtuosité. “Another Fine Mess” où réalité et légende s’harmonisent, pour rendre à ces empereurs du rire ce qui leur appartient.

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