Nos Batailles

Son combat

Film. Romain Duris est crédible à contre-emploi dans Nos Batailles, film social et réaliste qui prétend capturer l’époque… Jusqu’à sa caricature ?

Temps de lecture 3min

Par Théo Ribeton

Olivier (Romain Duris) n’a vraiment pas de bol : Il reprend chaque jour le bras de fer interrompu la veille avec la direction de l’entrepôt où il travaille. Un de ces centres d’expédition d’un géant de la vente en ligne, version moderne et « flexible » de l’usine d’antan, où il deviendra représentant du personnel. Et voilà, qu’en prime sa famille menace de se disloquer, le jour où sa femme part sans un mot, le laissant seul avec enfants.

Romain Duris, Etonnant dans la peau d’homme qui a du mal à exprimer ses sentiments

Le naturalisme ouvrier a une cote galopante dans le ciné français. Un phénomène assez nouveau et sans doute déclenché, ou au moins boosté, par l’ascension du tandem Stéphane Brizé-Vincent Lindon (La Loi du marché, un million d’entrées, et le plus récent En guerre, dont le titre n’est pas sans rappeler celui de Nos Batailles). Mais c’est aussi un phénomène teinté d’ironie : voilà aujourd’hui portés aux nues tous les gimmicks qui étaient hier encore la risée du goût populaire. Le cinéma d’auteur caricaturalement grisâtre, tristoune, apathique et, bien sûr, excluant (celui qui n’intéressait jusqu’alors que les lecteurs de Télérama) vit soudain une idylle avec la France.

Nos Batailles n’est pas raté : Guillaume Senez brosse quelques beaux personnages féminins autour de son working class hero (Laetitia Dosch en sœur-artiste, Laure Calamy en conquête d’un soir). Il sait maintenir son film en tension, sur une la ligne de crête qui sied bien à un acteur imprévisible et électrique comme Romain Duris. Etonnant dans la peau d’homme qui a du mal à exprimer ses sentiments, sujet à des sautes d’humeurs, luttant pour rester connecté à ses proches.

Mais on ne pourra pas s’empêcher de voir dans Nos Batailles la caricature de cette nouvelle imagerie rassembleuse. Ce film restera comme le cas d’école d’un nouveau cahier des charges, fixant une esthétique du pauvre strictement figée, avec son dress code (pull à grosse maille et camaïeu bleu-gris…), ses figures burinées-cernées-mal rasées, ses départs au travail en Kangoo cabossée avant l’aube, et ses retours alors que les enfants sont déjà couchés… Et surtout sa façon d’appliquer par dessus tout cela la pommade du vivre ensemble (cliché tenace : quand une famille commence à aller mieux, on filme l’anniversaire du gosse).

À la télévision, ce paysage et ses figurines servent généralement à vendre des mutuelles : on mixe ensemble les images de la galère sociale à celles des joies simples et de l’entraide, on ajoute un air de folk mélancolique, et roulez jeunesse. C’est ça, être assureur militant. Mais est-ce que c’est ça être cinéaste ?

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