Vladimir de Fontenay

« Les questions que soulève mon film existaient avant Trump et existeront après »

Film. Le français Vladimir de Fontenay est le réalisateur de Mobile Homes, un portrait sensible d’une mère et de son enfant dans une Amérique de la précarité.  Rencontre avec un cinéaste voyageur d’à peine 30 ans. 

Temps de lecture 4min

Par Jacques Braunstein

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ?
J’aime l’idée de raconter des histoires intimes tout en propulsant les personnages dans des environnements complexes. Un cinéma « bigger than life » et c’est souvent ce que l’on s’interdit lorsqu’on débute. Moi c’est justement cette ambition là qui me plaisait. Je voulais une poursuite, un combat de coq avec de nombreux spectateurs…
On n’a pas forcément la possibilité ou les moyens de fabrication nécessaires. Mais on peut trouver des solutions. Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin (2012) que j’ai vu à Sundance m’a beaucoup touché et inspiré. Je me souviens m’être dit qu’il racontait une histoire très simple autour d’une petite fille qui grandit dans le bayou, mais sans se limiter dans la mise en scène pour des questions de moyens. Il y a une inondation, des effets spéciaux…

“À ceux qui affirment que c’est l’Amérique de Trump ; le film a été tourné au Canada en 2016 sous l'ère Obama ”

Votre film se déroule dans des paysages sublimes. Pourtant en tant que spectateur on a l’impression de ne pas les voir, d’être dans le contre-champ. Est-ce une volonté de votre part ?
Oui, l’idée était de montrer des gens qui sont constamment en transit. Eux, s’ils voient quelque chose du paysage, ce sera la station service où ils vont faire leur plein d’essence. Je voulais montrer cette forme de mobilité, la fuite. Mes personnages n’appartiennent à aucun lieu, on a du mal à les caractériser, à expliquer d’où ils viennent, je trouvais donc intéressant que les endroits où se déroule le film fassent écho à cela.

Vous êtes parti des mobiles homes. Quel a été votre cheminement dans l’écriture de cette histoire ?
L’idée du film, la première porte, ça a été la vison d’un mobile home sur une route de l’État de New York. J’ai voulu sublimer ces mobiles homes. Je voulais montrer les maisons que l’on se choisit « along the way », mais aussi la vision que l’on se fait du foyer et comment celle-ci s’altère en grandissant et en se confrontant au réel.

Et comment en êtes-vous arrivé aux personnages de mère et de son enfant ?
Tout est lié. Le fil rouge qui s’est dégagé au fur et à mesure de l’écriture était ma volonté de faire le portrait d’une jeune femme qui devient véritablement mère le jour où elle abandonne son enfant. C’est quelque chose de complètement contradictoire que je voulais explorer. La maternité est la matière plus inconsciente qui s’est manifestée durant l’écriture. La parentalité est un thème qui me préoccupe, sur lequel je me pose des questions. Il était déjà récurrent dans les courts-métrages que j’ai réalisés.

Mobile Homes peut passer pour une dénonciation de l’Amérique de Trump…
À ceux qui affirment « c’est l’Amérique de Trump », je réponds simplement que le film a été tourné au Canada en 2016 du temps où Obama était président. Les questions que soulève le film existaient avant Trump et continueront d’exister après lui.

Par rapport à un film comme American Honey de Andrea Arnold (2016), on sent chez vous une volonté de faire quelque chose de plus resserré, de plus écrit. On a l’impression que vous connaissez par cœur cette école de Sundance mais que vous en voyez aussi les limites ?
Complètement. Pour moi mon film n’est pas que naturaliste, ce n’est pas que le portrait de ces gens. C’est avant tout un travail de fiction qui s’inspire du réel. J’ai essayé e sublimer cette réalité par le symbolisme, avec des images plus ou moins lyriques.

Vous semblez être issu de la bourgeoisie européenne, quelle est la légitimité de votre regard sur des américains très pauvres et si différents de vous ?
Nous sommes en 2018, les frontières tombent, nous nous intéressons à tout, nous sommes connectés en permanence. Je ne travaillerais pas pendant cinq ans sur un projet qui ne va pas m’intéresser, me surprendre, me confronter à d’autres réalités. Je ne saurais pas faire un film chez moi, dans mon environnement. Ou en tout cas pas tout de suite. Visconti a réalisé à Alger l’Étranger d’après Camus, Antonioni a tourné en Californie Zabriskie Point. Par curiosité, par amour de l’art, on doit se laisser la possibilité de s’attaquer à des sujets qui ne nous concernent pas directement.

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