High Maintenance

Brooklyn State of Mind

Série. A vélo dans New York, Ben Sinclair et Katja Blichfield inventent une gonzo-comédie qui célèbre la weed culture à l’heure de sa normalisation.

Temps de lecture 4min

Par Julien Lada

Avec son fixie, son goût immodéré pour les chemises défraîchies (souvent à carreaux) et sa barbe broussailleuse, le héros de High Maintenance a tout du trentenaire new-yorkais type. Il se fond tellement dans le décor de sa ville que le spectateur ne le connaît que sous le nom de « The Guy ». Au fil de ses détours urbains, on découvre vite qu’il gagne sa vie en livrant toutes sortes de substances à quiconque sollicite les services de ce Deliveroo de la came à travers New York, et plus particulièrement Brooklyn. De toutes origines, de toutes conditions sociales, de tous âges (des clients d’hôtel adeptes du triolisme, un groupe de parole féministe, un couple bien sous tous rapports déménageant leur fille…) ses rencontres ont chacune leur histoire, à laquelle il prend part l’espace de quelques minutes.

High Maintenance fait son trou et attire à chaque épisode payant jusqu'à un demi-million de vues.

High Maintenance est le bébé du tandem formé par Ben Sinclair et Katja Blichfield. Quand ils se marient en 2010, lui enchaîne les petits rôles arrachés de ci de là pendant qu’elle se distingue comme directrice de casting (elle décroche même un Emmy en 2014 pour 30 Rock). Lorsque leur vient l’idée de créer leur propre websérie, ils repensent à leur show préférée, Six Feet Under et à ses célèbres Cold Opens, dans lesquels on découvrait la mort de parfaits inconnus dans de mini-séquences drôles ou tragiques. Cela inspira l’idée de reprendre le concept et de l’adapter à des tranches de vie autour de la marijuana.

Leur création arrive d’abord en catimini sur Vimeo, où sont diffusées six saisons (trois ou quatre épisodes de cinq à douze minutes entre 2012 et 2015). Montées avec les moyens du bord et des équipes hyper restreintes, leur acuité sociologique convainc la plateforme qui décide de la financer comme un de ses premiers « Vimeo Originals ». Dans le sillage d’une autre websérie de stoners new-yorkaises qui fera le saut vers la télévision, Broad City, High Maintenance fait son trou et attire à chaque épisode payant jusqu’à un demi-million de vues. Cela suffit à taper dans l’œil de HBO, qui préparait l’après-Girls (un épisode officialisera le passage de témoin grâce à un caméo de Lena Dunham) avec cette nouvelle série générationnelle Made in Big Apple.

En 2015, la chaîne de Six Feet Under commande à Sinclair et Blichfield une saison de six épisodes, suivie d’une deuxième de dix épisodes, diffusée début 2018 (neuf épisodes sont au programme de cette troisième fournée). La formule reste la même mais le passage au format 30 minutes laisse plus de latitude pour exploiter un sens acéré du storytelling. Certains épisodes pouvant désormais contenir plusieurs intrigues. L’une des grandes forces de la série repose sur ce sens de l’écriture qui dessine en creux le caractère de son personnage-fil rouge. Loin d’être un simple artifice narratif, The Guy finit par exister par lui-même. À la fois narrateur et spectateur, il est un témoin qui devient parfois acteur de la vie de chacun de ses clients.

Sous ses airs de simple défilé de Brooklynites, de hipsters désenchantés ou de trentenaires à la recherche d’une nouvelle expérience, la série se dévoile progressivement comme une « gonzo-comédie », s’immergeant quelques minutes dans l’air du temps de Brooklyn. Fini l’aspect contre-culturel du cannabis aujourd’hui, puisqu’il est dépénalisé dans la moitié des États américains et légalisé dans une dizaine d’entre eux (sans parler de son usage médical, autorisé dans quasiment tout le pays.)

Et, comme tout à New York, il s’est même gentrifié. Dans High Maintenance, on commande de l’herbe parce qu’on s’emmerde, parce qu’on bande mou, parce qu’on veut s’amuser, et surtout parce qu’on a plus à s’en cacher. On se fait un joint comme on prend une pinte au bar ou un latte au coffee shop. En se renseignant sur la provenance, en essayant les variétés, en partageant avec les autres. Les substances délivrées par The Guy sont un vecteur de lien, une porte d’entrée dans le quotidien d’un quartier, de la ville entière.

Il en découle une série capable de jouer facilement sur tous les styles de comédie, l’un d’entre eux nous transporte tout de même dans la peau d’un chien. L’ensemble est forcément inconstant, mais le style Sinclair/Blichfield, dénué de toute forme de cynisme et de misanthropie, fait qu’on s’attache à cette galerie de personnages. Incarnés par des acteurs inconnus ou des habitués du petit écran (on y a déjà croisé la moitié du casting d’Orange is the New Black et le héros de Legion, Dan Stevens, fidèle de la première heure de la série dans laquelle il est apparu à plusieurs reprises). Un mélange parfait qui en fait la série la plus pertinente — et la plus humaine — sur la (weed) culture contemporaine.

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