Fahrenheit 451

Burn Baby Burn

Film. Présenté à Cannes en hors compétition, le remake américain du film de François Truffaut, Fahrenheit 451, tient-il ses promesses ? 

Temps de lecture 5min

Par Jacques Braunstein

Drôle d’idée, à priori, que celle de produire une nouvelle adaptation du roman éponyme de Ray Bradbury. Lorsque l’écrivain l’a publié dans les années 50 et lorsque François Truffaut en a proposé une première version filmée en 1966, l’idée que l’écrit allait être supplanté par la télévision et la culture de l’image était plausible.

“Un film d’action hollywoodien, où l'on cite Dostoïevski, Kafka et Proust.”

Mais aujourd’hui, les mails, les textos et surtout les réseaux sociaux démontrent que la culture de l’image et celle du texte avancent de concert, même si la première a clairement une prééminence sur la seconde. Ramin Bahrani, réalisateur remarqué avec 99 Home, Grand prix du Festival de Deauville en 2015, a eu l’idée d’un monde justement dominé par les réseaux sociaux. Présents partout, sur les façades des immeubles comme sur le miroir de votre salle de bain. Il diffuse des photos, des vidéos entrecoupées de quelques mots et de beaucoup d’emojis. Bref, un monde qui ressemble furieusement au nôtre. Comme dans les précédentes versions de Fahrenheit 451 (la température à laquelle le papier se consume) les livres sont interdits et brûlés par des pompiers d’un nouveau genre. Mais les films, les séries, les CDs et les disques durs qui pourraient contenir ces œuvres son également proscrits. Toute la culture, si on peut encore l’appeler ainsi, doit se produire dans l’immédiateté du réseau. Et les connaissances disponibles sont celles validées par l’État et indexées par un moteur de recherche un peu benêt. Moby Dick : une dizaine de lignes en novlangue émoticone qui résume grossièrement l’histoire… La Bible, un pavé de texte à peine plus long…

Au motif que les opinions antagonistes exprimées dans les livres et les autres œuvres ont débouchés sur la seconde guerre civile qui a fait 8 millions de morts. Une dimension également absente des versions précédentes. Depuis, tout le monde nage dans le bonheur de l’unanimité et des doses massives de tranquillisants. 

Le héros, Montag, pompier d’élite campé par Michael B. Jordan (Creed, Black Panther…), va avoir la curiosité d’ouvrir un livre au contact d’une réprouvée (Eels, qui n’a plus accès au réseau), interprétée par la franco-algérienne Sofia Boutella (Climax, Star Trek – Sans limite…) et rencontre une communauté de gens qui apprennent des livres par cœur. Alors que son chef (Michael Shannon) cherche à éradiquer par le feu cet embryon de résistance.

Dans la version François Truffaut, les accusations contre Montag se perdaient dans une bureaucratie qui n’avait plus de mots pour organiser son action. Le film illustrant la perte du langage par son récit même.
Alors que dans celle de Bahrani, les gentils comme les méchants sont mus par des buts clairs et opposés comme dans n’importe quel blockbuster (même si le budget de celui-ci ne semble pas mirifique). S’ensuit un thriller dystopique, efficace et plutôt élégant. Un honnête film d’action hollywoodien dans lequel on cite Dostoïevski, Kafka et Proust. Ce qui est plutôt amusant.
Un honnête film d’action Hollywoodien dans lequel on cite Dostoïevski, Kafka et Proust. Ce qui est plutôt amusant.

Bref, ça se regarde, mais en arrivant au terme de ce texte son auteur s’aperçoit qu’il l’a surtout écrit pour dire un mot de la version de 1966 et de sa poésie pop (bande-annonce). La version 2018 ne sort d’ailleurs pas en salle mais est diffusée sur HBO* (OCS City en France). Soit le parfait endroit pour le visionner un dimanche soir de désœuvrement.

* Curieusement, alors que Netflix était exclu du Festival de Cannes parce que ses films ne sortent pas en salle, HBO est parvenu à inscrire Fahrenheit 451 en sélection hors compétition. Le livre d’images de Jean-Luc Godard qui a reçu une Palme d’Or spéciale sera diffusé par Arte et projeté dans des musées. Et Girl et Heureux comme Lazzaro, également distingués, ont été depuis achetés par Netflix pour le marché américain…

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