Everybody Knows

Les secrets mal enfouis

Film. Retrouvailles à Cannes pour Javier Bardem et Penelope Cruz dans un drame familial qui vire au thriller signé Asghar Farhadi. Présentation. 

Temps de lecture 4min

Pas Jacques Braunstein

« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage (…) Et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents… » C’est sans doute ce que se dit Laura (Penelope Cruz) qui habite en Argentine, lorsqu’elle revient dans son village accompagnée de ses deux enfants pour le mariage de sa sœur.

“Le réalisateur réussit la prouesse de faire exister et de suivre une quinzaine de personnages.”

Elle y retrouve Pedro (Javier Bardem) son amour de jeunesse… C’est d’ailleurs le second film ensemble du couple star du cinéma espagnol ce printemps après Escobar (voir notre critique) et il a eu l’honneur de la cérémonie d’ouverture du Festival de Cannes, tout en étant en compétition.

Durant la fête, filmée d’une caméra agile et baladeuse, le drame se noue. Sa fille Irene, 16 ans, disparaît à la faveur d’une coupure de courant… Très vite tout indique qu’elle est victime d’un enlèvement crapuleux. Le réalisateur iranien Asghar Farhadi (Le Passé, Le Client, Une Séparation…) dont c’est le premier film en Espagne reprend d’ailleurs ici le motif d’À propos d’Elly qui l’avait fait connaître en Occident en 2009.

De repas en explications, et de confrontations en révélations, il filme avec empathie les adultes et les ados, les enfants et les grands-parents, ceux qui sont partis et ceux qui sont restés, ceux qui boivent un peu trop et ceux qui leur demandent d’arrêter, ceux qui ont réussi et ceux qui ont de la rancœur. Les secrets mal enfouis ressurgissent et donnent son titre au film : Everybody Knows/ Todos los Saben / Tout le monde le sait…

Tout le monde, donc, se met à soupçonner tout le monde et le drame familial se noue, dérivant peu à peu vers le thriller. Alors, bien sûr, le drame est parfois un peu manichéen, la tension du thriller un peu lâche. Mais le réalisateur réussit la prouesse de faire exister et de suivre une quinzaine de personnages d’un bout à l’autre de son film. Captant ainsi l’essence de la vie d’un village. Ce que bien peu de metteurs en scènes occidentaux parviennent à faire de nos jours, se concentrant très vite sur des relations interpersonnelles entre les trois ou quatre rôles principaux. On pense au Parrain de Coppola, où la tragédie explosait lors de grandes fêtes familiales. Ou à La Règle du Jeux de Renoir où derrière la violence des impératifs mondains, chacun à ses raisons que le réalisateur se garde bien de juger. Everybody Knows n’a sans doute pas l’ampleur de ces chefs-d’œuvre, mais il partage avec eux une forme de générosité qui ne peut que susciter notre empathie.

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