The Disaster Artist

Un film qui raconte la réalisation d’un mauvais film peut-il être bon ?

Film. Que cherche vraiment à raconter James Franco dans The Disaster Artist ? Chronique d’un ratage réussi. Ou l’inverse ? 

Temps de lecture 4min

Par Jacques Braunstein

Coco de Gad Elmaleh, Sucker Punch de Zach Snyder… les avis divergent sur le plus mauvais film du XXIe siècle. Mais un long métrage semble bien tenir la corde, aux États-Unis en tout cas. The Room sorti en 2003 (et ressorti cet hiver dans 600 salles). Notamment parce que son réalisateur-scénariste-producteur, Tommy Wiseau, est une énigme. Personne ne semble savoir d’où il vient, quel âge il a, ou comment il a pu disposer de l’argent lui permettant de faire ce film à plus de 5 millions de dollars…

James Franco, icône post-moderne qui passe allègrement du cinéma d’auteur (Spring Breakers) à la comédie potache (L’interview qui tue), de la réalisation à l’écriture et du mannequinat à l’enseignement, ne pouvait que se passionner pour cette histoire. Il en a tiré The Disaster Artist, film qu’il a écrit, réalisé et dont il campe le personnage principal, tout comme Tommy Wiseau. Cette fois, il parvient à réunir toutes ses casquettes. Engageant son petit frère (Dave Franco) et son meilleur ami (Seth Rogen) pour compléter ce casting autocentré.

“Réaliser un film pour être lui-même et se faire des amis.”

Son film évoque forcément Ed Wood (1994) de Tim Burton. Cependant, dans le cas du film de Burton, il était clair qu’il s’agissait de l’hommage d’un fou de cinéma à un autre. De celui que d’aucuns considèrent à l’époque comme le meilleur réalisateur d’Hollywood à son plus mauvais.

Mais lorsque James Franco réalise un film sur Tommy Wiseau c’est moins clair. D’après ce qu’en montre The Disaster Artist, celui-ci n’aime pas vraiment le cinéma ou du moins le connaît mal. Il souhaite réaliser un film pour être lui-même et se faire des amis. De là à penser que James Franco fait la même chose… Avec beaucoup plus de talent bien entendu.

En sortant décontenancé de la projection de The Disaster Artist on se souvient d’une scène de C’est la fin (2013), autre film de James Franco et ses amis (Seth Rogen notamment, qui ici était également le réalisateur). Franco s’y interrogeait pour savoir ce que les acteurs faisaient de bien. Et il hasardait que tourner des scènes en maillot de bain en plein hiver demandait un réel effort… avant de conclure que non, ce n’était pas bien, c’était difficile.

Et aujourd’hui comment différencier ce qui est bien de ce qui est difficile ? C’est la question philosophique que pose The Disaster Artist qui n’est pas vraiment un bon film, mais un film difficile à faire… dans lequel Franco s’est attribué un rôle difficile à incarner. Celui d’un homme ridicule, peu sympathique, aux motivations complexes et opaques. Un homme pas à proprement parlé drôle et qui, même dans la vie, ne joue pas juste.

Résultat : Franco obtient avec ce rôle le Golden Globe du meilleur acteur dans une comédie. Et puis, patatra, en un tweet tout s’écroule. Une ex-petite amie lui reproche une fellation non consentie, et Hollywood se souvient qu’il a été accusé de draguer des filles mineures via les réseaux sociaux… Des choses que nombre d’hommes puissants de l’industrie ont fait avant lui, des choses qui n’étaient pas bien, un peu faciles, mais qui passaient… Mais qui, depuis l’affaire Wenstein, ne passent plus du tout.
Malgré ce Golden Globe, ce triomphe qui ouvre habituellement la voie aux Oscars, Franco ne récolte pas la moindre nomination pour la grande messe de la profession. Du coup, après la tempête, le film laisse une drôle d’impression… Notamment son générique de fin qui montre des scènes de The Disaster Artist en face de scènes de The Room afin qu’on se rende compte de la parfaite symétrie des deux. Le spectateur hébété se demande pourquoi avoir mobilisé tant de savoir-faire et de talent pour recréer à l’identique un si mauvais film. C’est peut-être ça, finalement, qui est fascinant.

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