Cargo

Zombie’n’B

Film. Netflix va-t-il révolutionner le marché du film de genre ? Cargo un film de zombie « sentimental » et australien apporte un début de réponse. Explications. 

Temps de lecture 5min

Par Clément Levassort

 

Cargo débute par une séquence hautement viscérale en nous plongeant in medias res dans l’action avec des images floues et heurtées. La mise au point peine à se faire mais l’on finit par distinguer deux passagers à l’avant d’un véhicule. Un son strident d’acouphène flotte dans l’air, un homme assis sur le siège passager se réveille difficilement tandis qu’à ses côté une femme balance sa tête comme hébétée.

“La sensation du dernier "Tropfest"”

Puis le point se fait sur son visage. Des yeux blancs sans vie, le teint blafard : c’est un zombie ! Paniqué l’homme défait sa ceinture et s’éjecte de l’habitacle qui le retenait prisonnier. La musique stoppe alors brutalement, le danger est écarté… Pour l’instant en tout cas.

Vous pourriez m’en vouloir de dévoiler l’introduction de Cargo. Mais il n’est pas question ici du film mais du court-métrage sorti en 2013 et dont la nouvelle production Netflix est directement inspirée. Egalement réalisé par Ben Howling et Yolanda Ramke, il avait créé la sensation au Tropfest, un célèbre festival australien de courts-métrages, et a été vu plus de 5 millions de fois sur Youtube. On remarquera que le film embrasse parfaitement les codes esthétiques du survival horror et du film de Zombie en plongeant dès les premières secondes le spectateur dans des situations de violence psychologique et physique extrême. Le reste du court-métrage est de la même tenue : une narration purement visuelle, une absence quasi totale de dialogues et même un final assez émouvant. Il faut dire que l’histoire de cet homme condamné d’avance par une infection mortelle devant trouver un moyen de sauver sa fille d’à peine un an dans les 48h sous peine de devenir lui-même un zombie mangeur d’homme avait du potentiel. De plus, le récit se déroule dans le désert australien et convoque instantanément les décors post-apocalyptiques de la saga Mad Max de Georges Miller, idéal pour dépeindre un monde en train de péricliter sous l’effet d’un virus destructeur. Hélas entre le court-métrage et le long quelque chose s’est perdu.

Ne nous méprenons pas, Cargo n’est pas une expérience désagréable, mais c’est un film oubliable et c’est dommage car le potentiel du pitch aurait pu aboutir un résultat bien plus enthousiasmant. Considérons la dimension exotique du film avec le désert australien comme toile de fond : bien sûr l’utilisation d’un large scope permettant de capturer le grandiose des environnements donne au film une ampleur cinématographique naturelle en rappelant les westerns hollywoodiens, mais ce choix reste ici fonctionnel. On n’y décèle aucune intention de réalisation que ce soit dans la composition des cadres ou dans les mouvements de caméra qui ne racontent rien, et ce n’est pas la photographie, propre mais quelconque, qui sauve la mise. Pourtant en s’intéressant au cinéma de genre australien on constatera que ce décor désertique possède un véritable potentiel expressif, que ce soit dans Razorback (1984) film de prédateur halluciné de Russel Mulcahy ou encore dans The Walkabout (1971) de Nicholas Roeg à l’onirisme envoutant. Dans les deux cas le désert australien est traité comme un acteur à part entière et charge ces films d’une aura mystique et poétique qu’on peine à retrouver dans Cargo. Il faut attendre le dernier tiers et les rares séquences avec les aborigènes pour qu’enfin cette dimension soit exploitée. Ces derniers choisiront le retour à la nature et aux rites traditionnels afin de combattre le virus qui ravage le pays. Reste que ces particularismes de la culture australienne sont survolés.

Reed Hasting, le créateur et patron de Netflix, avance que la stratégie de l’entreprise est d’investir dans des productions internationales et « participe à un approfondissement global de la connaissance des uns et des autres et à une meilleure compréhension entre les cultures ». On est pourtant loin du cinéma sensoriel de Peter Weir (La dernière vague, 1977) qui saisissait à merveille la puissance mystique du territoire australien via une direction artistique et une utilisation de la musique et du design sonore inspirée, donnant corps aux forces invisibles de la Nature.

Le principal défaut de Cargo, c’est son manque de viscéralité. L’imminence du danger, le malaise provoqué par la violence frontale… Sur ces points essentiels Cargo est trop sage, et bat en retraite dès qu’il s’agit de plonger ses personnages dans des situations violentes. L’action est brouillonne et expédiée là où elle devrait être étirée et la tension est trop vite désamorcée. Le film se rattrape par un bon traitement psychologique des personnages et ne dévie pas de sa trajectoire tragique, c’est le propre de l’écriture télévisuelle moderne, mais Walking Dead est déjà passé par là. Quant à Martin Freeman (Shaun of the Dead, H2G2, Le Hobbit…) seul nom connu au casting, il montre ici ses limites. L’acteur nonchalant mais sympathique est un point d’accroche pour le spectateur, qui s’attache dès les premiers instants à ce visage familier, mais rapidement son interprétation peine à nous transmettre les émotions nécessaires à certains moments cruciaux du scénario qui plonge pourtant son personnage principal dans des situations extrêmes. Direction d’acteur floue ou limite du comédien dans ce registre ?

Cargo a la forme d’un long épisode de série télévisée avec ses arcs narratifs cohérents, sa tonalité adulte et sombre, son jeu d’acteur convenable, une sorte de « téléfilm » de qualités supérieures donc, mais certainement pas un film de cinéma. C’est une tendance actuelle : l’écriture télévisuelle tends à prendre le pas sur la forme cinématographique et ne permet que rarement la création d’œuvres singulières et mémorables d’un point de vue formel. La logique de Netflix voudrait qu’en produisant du contenu original en quantité et en laissant une certaine liberté créative à ses artistes, quelques pépites finissent par émerger. On en est encore loin. On peut même craindre que les délais de production, les budgets, les modes de diffusion de la chaine (pas de sortie cinéma, films noyés dans un océan de contenus consommables) ne le permettent pas. Or les films de genre reposent sur des modes de réalisation très spécifiques qui cherchent à immerger le spectateur dans le récit et le marquer durablement. Les seuls films Netflix à avoir sorti leur épingle du jeu jusqu’à présent ont surtout bénéficié de l’aura et du savoir-faire d’auteurs venant de l’industrie cinématographique, que ce soit Jung-Ho Bong avec Okja (2016) ou Alex Garland avec Annihilation (2018). On attend toujours l’émergence d’un nouveau talent « made in Netflix » qui viendra contredire nos affirmations. A quand ?

-> Cargo de Ben Howling et Yolanda Ramke avec Martin Freeman, actuellement sur Netflix.

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