At Eternity’s Gate

La fièvre de peindre

Film. En se concentrant sur les dernières années prolifiques de Van Gogh, Julian Schnabel signe un anti-biopic où l’Art surpasse le mythe.

Temps de lecture 3min


Par Claire Bonnot

Qui n’a jamais rêvé de plonger dans un tableau pour s’imprégner de beauté ? C’est l’expérience visuelle, sensorielle, émotionnelle et intellectuelle dans laquelle nous propulse Julian Schnabel, réalisateur du film At Eternity’s Gate. Le peintre américain tisse sa toile artistique sur pellicule depuis Basquiat, son premier film en forme de biopic, réalisé en 1996. Cinéaste multi-récompensé en 2007 pour Le Scaphandre et le Papillon il entremêle à nouveau performance artistique et cinéma du sensible.

expérience sensorielle intense où le silence adorateur fait la part belle à la patte Van Gogh

Éblouissante pellicule
« Je voudrais trouver une nouvelle lumière pour peindre des tableaux encore jamais vus », explique Van Gogh à Gauguin. Un geste artistique que traduit Schnabel dans les mouvements de sa caméra qui se fond avec Vincent Van Gogh, filmant ses pas frénétiques dans les champs arlésiens, déployant son champ visuel ébloui par la nature omniprésente (et nous, avec), et vrillant souvent au rythme de l’esprit échauffé et passionné du peintre à l’oreille coupée. Le spectateur est ainsi immergé dans les peintures et l’âme du génie néerlandais – « Je suis mes peintures », dit-il au médecin qui le place en asile – mu par la fièvre de peindre et la folie existentielle merveilleusement incarnées par l’ambivalent Willem Dafoe, au visage émacié comme transfiguré. L’acteur a remporté la Coupe Volpi de la Mostra de Venise et été nominé aux Oscars pour son rôle, bien que Van Goth se soit suicidé à 37 ans, alors qu’il en a aujourd’hui 63.

Car le film est ailleurs. Il offre une expérience sensorielle intense où le silence adorateur fait la part belle à la patte Van Gogh : les bruissements de l’herbe et des arbres, le souffle du vent dans les champs de tournesols et la lumière, souveraine, de l’aube au crépuscule. La pellicule parfois saturée et les plans ultra-zoomés font très nettement percevoir cette beauté pure d’un monde que Vincent Van Gogh cherche à partager inlassablement : «  Ma vision est plus proche de la réalité du monde. Je peux faire ressentir aux gens ce que ça fait d’être vivant ». Ou comment At Eternity’s Gate est l’anti-biopic le plus éclairant qui soit sur la vie et l’œuvre d’un artiste.

Il y avait déjà La vie passionnée de Vincent Van Gogh de Vincent Minelli avec Kirk Douglas (Golden Globe du meilleur acteur dans un film dramatique en 1957) et Van Gogh de Maurice Pialat avec Jacques Dutronc (César du meilleur acteur en 1992), mais le propos de Schnabel est tout autre.

 Éducation transcendantale
En s’inspirant de la vie de Van Gogh et en y juxtaposant son propre ressenti de peintre, il explore dans ce film le fondement de l’inspiration et le rôle de l’artiste. Les face-à-face entre Van Gogh et Paul Gauguin (Oscar Isaac), Van Gogh et son médecin, Van Gogh et le prêtre (le toujours troublant Mads Mikkelsen) sont passionnants, donnant des clés de lecture pour mieux approcher les destins des artistes maudits et pourtant visionnaires. « Jésus aussi était totalement inconnu de son vivant », fait dire Julian Schnabel à son personnage, osant une image christique frappante d’acuité. Oscillant entre la souffrance et le bonheur de créer, Van Gogh est dépeint comme un martyr de l’Art, prêt à donner sa vie, apte à perdre l’esprit, pour toucher du doigt la beauté et pour atteindre l’éternité.

Film à l’expérience de visionnage inédite, At Eternity’s Gate est (pourtant !) à regarder sagement depuis chez soi car, en France, il est diffusé exclusivement sur Netflix.

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