Voyage, voyage

Trois docs à voir pour revoir New York

New York vous manque ? « Vous aussi, vous manquez à New York City ! » affirment des affiches de l’Office du tourisme new-yorkais dans le métro parisien. Restrictions aériennes obligent, les amoureux de Big Apple se languissent : heureusement, deux séries documentaires et la réédition d’un film des années 50 sont là pour nous y replonger par procuration.  

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 5 min

Le plus snob : Pretend it’s a city (Netflix)

Fran Lebowitz est une écrivaine américaine vivant à New York. Elle a été l’une des premières femmes chauffeuse de taxi dans les années 70, avant de devenir critique de séries B pour Interview, le magazine d’Andy Warhol. Parmi  ces films, Bertha Boxcar (1972), deuxième long-métrage d’un certain Martin Scorsese. Lebowitz a ensuite travaillé pour Newsweek, et publié des recueils remarqués de ses chroniques, devenant pour finir une personnalité médiatique mal embouchée invitée dans tous les talk-shows de Manhattan. Sorte de Truman Capote contemporaine, elle travaille depuis des années à un roman indéfiniment reporté et subsiste en faisant des apparitions de luxe dans Le Loup de Wall Street, de son vieux copain Marty, et dans la série New York Police Judiciaire (à chaque fois, elle joue une juge). Spoiler alerte : toutes ses informations, cruciales pour comprendre Pretend it’s a city, la série documentaire que Martin Scorsese consacre à Fran Lebowitz sur Netflix, vous ne les apprendrez pas avant le dernier des sept épisodes. Comme pour The Irishman, la plateforme a donné carte blanche au cinéaste. Osera-t-on écrire que là encore c’est le problème ? Même les génies ont besoin d’un producteur… Co-produite par Scorsese et Lebowitz eux-mêmes, Pretend it’s a city donne l’impression de débarquer dans une tea party sauvage dont on n’aurait pas les codes. En roue libre, Lebowitz multiplie les bons mots sur la mégapole (« Quand on te demande pourquoi tu vis à New York, tu n’as pas de réponse. Tu sais juste que tu méprises ceux qui n’ont pas le cran de le faire »). Plus New-yorkaise tu meurs, Pretend it’s a city ravira sans doute les new-yorkophiles les plus avertis. Les autres risquent de s’en laver les mains (à moins de commencer par la fin).

Pretend it’s a city, disponible sur Netflix.

Le plus next door : How to with John Wilson

Un jour, John Wilson, documentariste trentenaire remarqué pour son film sur David Byrne Temporary Colors (2015), a vu un homme accrocher son paquet de pain à la barre du métro new-yorkais. Pourquoi avait-il fait cela ? Cette question anodine lui a donné envie de se lancer dans une série de documentaires pour HBO, explorant la vaste question de « comment font les gens ? ». Comment s’entendre avec ses voisins ? Sa logeuse lui prépare des petits plats italiens, il décide donc de lui préparer un Risotto. Mais comment préparer un risotto ? Et alors qu’il fait les courses commence le confinement. Donc comment vont faire les gens ? Par des enchaînements logiques un surréalistes, John Wilson dresse un portrait de ses contemporains, et spécialement des New-yorkais qu’il côtoie. Le réalisateur multiplie les séquences inattendues, comme lorsqu’il monte sur des plans de nettoyage d’une scène de crime ses réflexions sur les risques qu’il y a à partager ses pensées les plus intimes avec des inconnus. On pense à la série de Netflix Master of None, ou à l’émission de France 5 J’irai dormir chez vous. Mais surtout aux stories qui se succèdent sur les réseaux sociaux. Beaucoup de scènes filmées en marchant, peu de plans larges… On est comme enfermé dans le cerveau de John Wilson. C’est fin, drôle, inattendu, mais un peu le contraire d’un documentaire comme on l’envisageait jusque-là. John Wilson ne veut pas vous montrer New York, il cherche à vous faire expérimenter pendant un peu moins d’une demi-heure la vie d’un New-yorkais. Et ce à travers un écran, dans le plus grand respect des gestes barrière.

How to with John Wilson, aux États-Unis sur HBO.

Le plus rétro : Le Petit Fugitif

Pas vraiment un documentaire, mais presque… Réalisé au début des années 50 par le couple de photographes Ruth Orkin et Morris Engel et leur ami, l’écrivain Ray Ashley, Le Petit Fugitif est certes une fiction, mais c’est aussi un document précieux sur le New York populaire de ces années-là.  On y suit la journée d’un garçon de 7 ans, Joey, confié à la garde de son frère Lennie. Pour s’en débarrasser, Lennie et ses copains lui font croire qu’il a tué son aîné avec un fusil de chasse. Joey erre alors dans New York en été, se jette dans le métro et atterrit dans la fête foraine de Coney Island. Film indépendant, tourné avec 30 000 dollars et une caméra portative 35 mn, en décor naturel, au milieu de foules qui ignorent tout des prises de vue, Le Petit Fugitif veut capter sur le vif l’atmosphère de la ville. Sa méthode a beaucoup influencé le François Truffaut des 400 Coups, qui écrivait : « Notre Nouvelle Vague n’aurait jamais eu lieu si le jeune Américain Morris Engel ne nous avait pas montré la voie de la production indépendante avec son beau film, Le Petit Fugitif. » Après, le tournage sauvage est devenu une signature de la production indépendante, mais en 1953, c’était encore révolutionnaire (l’audace fut d’ailleurs saluée par un Lion d’argent à la Mostra de Venise et une sélection aux Oscar). Plus de soixante ans plus tard, le film, qui ressort en DVD chez Carlotta accompagné de l’intégrale des films de Morris Engel et Ruth Orkin, est devenu un témoignage d’archive, qui nous transporte dans un New York disparu, à la fois proche et lointain. Autant les t-shirts à rayure des enfants pourraient venir d’une collection récente, autant les manèges en tôle semblent surannés. Ceux qui cherchent des plans panoramiques de la ville seront déçus… Mais avec son grain d’époque, Le Petit Fugitif donne l’impression de pouvoir toucher le New York des années 50 depuis son canapé.

Le Petit Fugitif (coffret Morris Engel et Ruth Orkin, en DVD et Blu-Ray chez Carlotta)

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