Kindertotenlieder, de Virgil Vernier, au Festival Cinéma du Réel

« Tout est politique dans le fait de réécrire une histoire. »

Après Mercuriales et Sophia Antipolis, on retrouve Virgil Vernier derrière Kindertotenlieder, un court-métrage construit entièrement à partir d’images d’archives, présenté en compétition au Festival International du Documentaire Cinéma du Réel. Le réalisateur nous parle de sa démarche créative.

Interview : Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min.

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Acteur dans les films de Justine Triet (La Bataille de Solférino) ou de Maïwenn (Polisse). Réalisateur de courts-métrages (Orléans, Andorre, Karine) et de longs-métrages (Commissariat, Mercuriales, Sophia Antipolis), alternant fiction, documentaire et docu-fiction… Virgil Vernier est un touche à tout, poète et expérimentateur. En 2019, il présentait son film Autoproduction au Cinéma du Réel. Le voilà de retour avec Kindertotenlieder, qui lui permet d’explorer une nouvelle approche de la création documentaire. Un court-métrage de 27 minutes consacré aux émeutes de Clichy-sous-Bois, qui se sont déroulées entre le 27 octobre et le 17 novembre 2005 : Kindertotenlieder vient combler un manque en traitant d’un événement que le cinéma n’a jamais abordé. Son originalité réside aussi dans son dispositif. La chronologie des affrontements de 2005, depuis la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, pourchassés par la police, jusqu’au couvre-feu imposé par le Ministère de l’intérieur de l’époque Nicolas Sarkozy, est ainsi reconstituée à l’aide des images d’archives des journaux télévisés de TF1, desquelles le cinéaste a ôté tout le surplus de montage. Redevenues brutes, les images montrent une nouvelle réalité, moins idéologique. Virgil Vernier nous en dit plus sur sa démarche.

Pourquoi avoir voulu revenir sur les événements de Clichy-Sous-Bois ?

Il y a deux raisons. La première est circonstancielle : les gens de la mairie de Clichy m’ont proposé de faire un projet autour de la ville. C’est Eric Reinhardt, romancier originaire de Clichy, qui a la charge de proposer à des artistes de développer un projet. Et puisque c’est un amoureux du cinéma, il est venu me voir. Spontanément, sans réfléchir, j’ai répondu que j’aimerais beaucoup faire un film à partir des images des JT de TF1, relatives aux émeutes de 2005. Donc, la deuxième raison est plus personnelle. Ces émeutes m’avaient beaucoup marqué à l’époque,  tout autant d’ailleurs que les images de TF1.

C’est un choix étonnant et captivant d’avoir limiter le récit aux seules archives des JT de TF1…

C’est une démarche artistique. Il y a finalement très peu d’images de cet événement, qui a été peu documenté par les émeutiers, puisqu’à l’époque les téléphones portables étaient très rudimentaires et ne permettaient pas de faire des images exploitables. De ce fait, je me suis dit qu’il manquait un film. Il fallait faire ce film. Ironiquement, c’est avec les images de TF1, qui sont pour moi très problématiques, qu’il m’a semblé intéressant de créer un film de toutes pièces. Ces images d’archives, j’ai essayé de les dépouiller de tout ce qu’elles avaient, selon moi, d’idéologique ou de superflu. Ce qui m’a demandé un gros travail, car à l’origine elles étaient accompagnées de commentaires en voix-off, éventuellement de sons ou de musiques qui leur donnaient d’emblée un caractère dramatique. Il fallait que je les dépouille, comme un archéologue qui nettoie avec des instruments pour mettre à jour et conserver l’état originel des choses. J’ai essayé de retrouver dans ces images ce qu’elles nous apportent de précieux.

Votre démarche était-elle politique, voire critique ?

Politique, c’est un mot tellement ouvert… Tout est politique dans le fait de réécrire une histoire. Après, j’ai tenté de ne pas imposer mes opinions personnelles dans ce film. J’étais déjà tellement contraint par le côté partiel et partial de tout ce qui avait été filmé par TF1, il y avait déjà suffisamment de travail de rééquilibrage idéologique par rapport à ce qui était leur intention à l’époque, à savoir mettre de l’huile sur le feu, créer un climat anxiogène et développer des tensions entre des groupes de Français. La simple tentative d’éviter qu’à mon tour je crée un récit qui serait partial et idéologique fait que mon geste est politique. Mais il n’est en rien idéologique !

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« Je trouve qu’il ne faut s’interdire aucun style, aucune grammaire cinématographique. « 

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Dans le film La Sociologie est un Sport de Combat de Pierre Carles, Pierre Bourdieu dit la phrase suivante : « Tant qu’on brûlera des voitures, on enverra des flics ! Il faut un mouvement social qui peut brûler des voitures mais avec un objectif. » Qu’est-ce que ça vous inspire ?

Je ne pense pas avoir une grande légitimité à me prononcer sur le bien-fondé de brûler une voiture. J’ai plutôt tenté de le regarder comme le signe d’une maladie. Et pour ce qui est de l’acte de brûler des voitures à proprement parler, mon idée était de le traiter avec ironie, en montrant à quel point ces images de voitures brûlées avaient été abondamment filmées par TF1. Ce que j’ai tenté de souligner en les compilant toutes les unes à côté des autres, c’était à la fois le côté spectaculaire de la France qui brûlait de tous les côtés, mais aussi cette obsession journalistique malsaine.

Dans son film Un Pays qui se tient Sage, David Dufresne donne la parole au sociologue Fabien Jobard, qui évoque la ritualisation de la violence entre policiers et manifestants. Avez-vous observé la même chose ?

L’idée de rituel est très juste. Depuis mai 1968 notamment, on a beaucoup comparé le fait de s’opposer à l’autorité et l’affrontement avec l’État à un passage à l’âge adulte. Toutefois, ce qui s’est passé en 2005 était beaucoup moins dans le romantisme gauchiste, mais plus dans quelque chose d’instinctif, sans mot d’ordre. À l’image d’une pulsion de vie ou au contraire d’une pulsion de mort. Il y avait un truc un peu irrécupérable politiquement par la gauche. Je trouvais fascinant ce genre d’événements très durs à récupérer idéologiquement.

Vous vous êtes essayé au documentaire classique avec Autoproduction, à la fiction avec Mercuriales ou Sophia Antipolis, et maintenant au film de montage d’archives. Que recherchez-vous dans cette diversité des genres ?

Je trouve qu’il ne faut s’interdire aucun style, aucune grammaire cinématographique. Que chaque chose que l’on veut raconter a sa propre grammaire. Parfois le réel est tellement surréaliste et puissant, qu’il suffit de le filmer de manière très simple, sans rien rajouter. Parfois on a besoin de créer de la fiction pour amener un imaginaire plus inventif, qui utilise un autre type de langage que celui que le réel offre spontanément devant une caméra. Dans tous les cas, je suis mu par la même envie de montrer des choses qui me paraissent intéressantes et fascinantes dans le monde actuel.

D’un projet à l’autre, vous semblez avoir une obsession pour les lieux à la marge du cinéma : les tours de la Porte de Bagnolet, l’Andorre, la technopole de Sophia Antipolis. Et maintenant Clichy-sous-Bois. Que représentent pour vous ces paysages ?

C’est assez affectif, car j’ai moi-même grandi dans des lieux comme ceux-là. Alors même qu’ils ne sont pas représentés au cinéma, je retrouve une forme de noblesse dans les ruines ou les choses laissées pour compte.

Le Festival Cinéma du Réel se déroule en ligne jusqu’au 21 mars.

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