US

Let’s Talk about Us

Film. Les acteurs Lupita Nyong’o et Winston Duke nous racontent Us, le nouveau thriller horrifique de Jordan Peele, révélé par l’incroyable Get Out

Temps de lecture 5min

Par Jacky Goldberg

Il arrive que des films cumulent plusieurs fins (syndrome bien connu du Seigneur des Anneaux, par exemple), mais plus rarement plusieurs débuts. C’est pourtant le cas de Us, le second long-métrage de Jordan Peele, deux ans seulement après le tonitruant Get Out. Il n’y a en effet pas moins de quatre prologues avant le véritable commencement (un panneau sur les tunnels inexploités d’Amérique, des lapins en cage, une chaîne de l’amitié pour lutter contre la pauvreté et une petite fille traumatisée par la vision de son double dans un parc d’attraction). Quatre prologues et des tas de signes, d’emblée, à interpréter, placés là par Peele comme autant de petits cailloux à ramasser pour éviter de se perdre dans le labyrinthe du sens qu’il ouvre devant nos yeux et ne refermera jamais vraiment, même après un récit haletant de près de 2h.

Le film ne donne pas de réponse, il pose des questions. Et il essaie de lancer la discussion

Plus encore que le brillant Get Out, Us place son créateur dans la catégorie des cinéastes du signe, maniaques, cérébraux et obsédés du détail, aux côtés d’Hitchcock, Kubrick ou Fincher, pour ne citer que les meilleurs. Certes pas encore au niveau de ses derniers, péchant encore par jeunesse et impréparation — il a écrit, tourné, et monté ce film en moins d’un an, or un de plus n’aurait pas été de trop pour polir les quelques imperfections. Mais Peele impressionne malgré tout. Sa mise en scène viscérale, sa générosité, sa capacité à se livrer totalement, sans retenir ses coups, quitte à parfois taper à côté — certaines justifications un peu laborieuses et le twist final, raté, qui prouve que n’est pas Shyamalan (Split, Glass) qui veut — contribue à faire de Us un spectacle roboratif, qu’on a envie de revoir sitôt le rideau tombé.

« Le film ne donne pas de réponse, il pose des questions. Et il essaie de lancer la discussion », nous explique Winston Duke, rencontré à Los Angeles. « Il est là pour éveiller les consciences ». Révélé dans Black Panther (il y jouait M’Baku, le renégat des montagnes), Duke interprète ici un bon père de famille, drôle mais un peu buté, essayant de donner l’image d’un patriarche viril et sûr de lui. Peu à peu, il devra abandonner son pouvoir à sa femme, véritable héroïne du film. Lupita Nyong’o (Oscar de la meilleur actrice dans un second rôle pour Twelve Years A Slave) lui prête ses traits, et c’est déjà, à l’évidence, un des grands rôles féminins du cinéma d’horreur. Déployant un jeu expressif et physique, mais sans enflure (ce mal de tant de comédiens américains), elle signe là une très grande scène horrifique, un monologue inoubliable qui glace le sang par la seule force de la voix : « je me suis inspiré d’une affection des cordes vocales appelée Dysphonie spasmodique, qui touche certaines personnes pour des raisons physiques, émotionnelles, ou parfois sans que l’on sache très bien pourquoi. J’ai travaillé des mois avec un médecin ORL pour avoir cette voix étouffée », nous confie-t-elle. Le genre de performance que les Oscars ne devraient logiquement pas oublier…

Erudition et Révolution
L’actrice accepte ensuite de partager avec nous une information précieuse : la liste de films que Jordan Peele lui a demandé de voir, « afin de parler la même langue ». Celle-ci comprend exactement dix titres, et pourrait passer pour un best-of du cinéma d’horreur version cinéphile :

Dead Again (Kenneth Brannagh),
Morse (Tomas Alfredson),
2 sœurs (Kim Jee-Woon),
Signes (M. Night Shyamalan),
Shining (Stanley Kubrick),
Les oiseaux (Alfred Hitchcock),
Mister Babadook (Jennifer Kent),
Funny Games (Michael Haneke),
Annihilation (Alex Garland),
Mother ! (Darren Aronofsky).

On lui demande enfin ce qu’elle pense de la portée politique du film, de sa vision du monde, qui passe par le filtre de la classe sociale et non par le filtre de la race comme dans Get Out. La couleur de peau des personnages n’a ici aucune incidence sur le récit, ce qui est en soi une affirmation très forte. Sa réponse fuse : « Pour moi c’est un film sur l’autre qu’on pointe du doigt, quel qu’il soit, au lieu de se retourner vers soi-même et de se demander : quelle est ma responsabilité dans la catastrophe qui guette et qui est à vrai dire déjà là ? ». Winston Duke, complète, s’approchant de nous comme pour nous révéler un secret : « Vous savez, pour moi, ça évoque même la Révolution Française. Cette masse de gens mis au ban, désignés comme des sous-hommes, qui viennent demander des comptes aux nantis, ça rappelle un peu ça, non ? ». Bien vu, Winston. Mais puisque le film est ouvert à l’interprétation, on a même envie d’aller plus loin : les uniformes rouges que portent les Tethered, ces doubles venus des bas-fonds pour nous rappeler à notre mauvaise conscience, à bien y regarder, ne seraient-ils pas un peu jaunes ?

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