The Loudest Voice – Mauvaise voix

Porté par un Russell Crow tout en prothèses et intensité,
cette mini-série s’attache au personnage controversé de Roger Ailes,
créateur de Fox News décédé en 2017. Un portrait saisissant d’une Amérique coupée en deux…

 Par Michael Patin

Temps de lecture 4 min.

The Loudest Voice

Bande Annonce

“Je sais ce que les gens vont dire de moi. Je peux même vous donner les qualificatifs : homme de droite, paranoïaque, gros.” Celui qui parle au début de The Loudest Voice est un homme mort. Ce 18 mai 2017, le stratège républicain Roger Ailes, créateur de Fox News, vient de prendre sa dernière porte de sortie, échappant à ses détracteurs et à la pile grandissante de accusations agressions sexuelles. Mais la mort ne protège plus dans une Amérique scindée en deux où la fiction court aussi vite que le réel.

Ailes est filmé face contre terre, au milieu de ses pilules éparpillées, la caméra avançant inflexiblement vers son visage cireux et ses yeux éteints. Un carton nous propulse en 1995, à l’époque où il pouvait encore se goinfrer de dinde en gros plan. “Je ne le conteste pas. Je suis conservateur. J’aime manger. Et je crois au pouvoir de la télévision.” Jamais série politique “basée sur des faits réels” aura osé procédé si brutal : faire dire à un cadavre encore tiède ce qu’on pense de lui et qu’il n’est plus en mesure de contredire. On est loin de la scène d’ouverture de Citizen Kane (pas de hors champs, aucun mystère), mais la référence n’est pas anodine : on est ici pour assister à la chute d’un puissant. Une chute qui visiblement interroge l’Amérique puisque un film est prévu sur le même sujet début 2020, Bombshell, avec rien de moins que Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie dans le rôle de ces blondes froides qu’il imposait à l’antenne et harcelait en coulisse.

La série fait dire à un cadavre encore tiède
ce qu’on pense de lui

Les premiers épisodes de The Loudest Voice – les mieux écrits – s’efforcent de donner épaisseur et charisme au personnage, en montrant ses talents de meneur d’hommes (son discours de départ de la chaîne CNBC, qui émeut l’assemblée) et son intelligence de producteur, qui allait donner à l’Amérique silencieuse toutes les raisons de porter Drumpf au pouvoir. C’est le Roger Ailes Machiavel des médias, empereur de la fake news, éminence grise des maîtres du monde et garant cynique d’une morale argent-famille-patrie. Caché derrière le maquillage et les prothèse, Russell Crow s’amuse comme un fou, passant en une fraction de secondes de la séduction à l’intimidation, et faisant porter sa voix – la “plus forte de la pièce”, titre du livre dont la série est adaptée (The Loudest Voice in The Room) – pour réduire les autres au silence. Il est l’attraction principale du show, le garant de son épaisseur dramatique. Sa présence ogresque suffit à transformer le reste du casting en satellites, en miroir au génie dévorateur de Ailes.

On pense très fort à Vice, sorti en février dernier. Si les deux projets n’étaient pas entrés en production au même moment, on pourrait jurer que Tom McCarthy (Spotlight) a tout pompé sur Adam McKay. Même star grimée qui tente de disparaître derrière son personnage, même ambition de créer un divertissement fun et rythmé pour éreinter rageusement un homme de pouvoir. Leur sortie concomitante est un indicateur fort de l’ambiance qui règne aux Etats-Unis dès qu’il est question de politique, de média, de pouvoir : chaque paroisse prêche pour ses ouailles et tous les coups sont permis. Le mérite de The Loudest Voice est de ne pas jouer du second degré pour justifier son discours : c’est une entreprise sérieuse, presque rectiligne, d’autopsie d’une nation gérée par des psychopathes. Vice faisait de son Dick Chenney un bouffon, le Roger Ailes de The Loudest Voice est juste un monstre.

Progressivement, on se lasse d’observer le Mal incarné et de jouir de notre supériorité morale. Quand l’animatrice Gretchen Carlson (Naomi Watts) attaque Ailes pour harcèlement sexuel et que les dominos commencent à tomber (la parole se libère, le monstre perd ses alliés), le récit se resserre sur cette brûlante thématique et laisse tomber toute autre forme de sous-texte. On cesse d’adorer détester le monstre pour simplement le détester. Le titre de la série change de sens : ce n’est plus Roger Ailes qui parle le plus fort dans la pièce, mais les show runners et, à travers eux, les victimes. La fiction se change en procès, le spectacle en tribunal. On a le droit de trouver ça édifiant, ou politiquement nécessaire, mais on peut aussi regretter que The Loudest Voice ne vienne pas chuchoter à notre oreille quelques vérités complexes, au lieu de hurler ce qu’on sait déjà, et qu’on n’a pas l’intention d’oublier. 

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