Stump the Guesser sur Mubi

Guy Maddin et le Winnipeg Ciné-Club

Le dernier court-métrage du cinéaste canadien Guy Maddin, présenté à la Berlinale 2020, est disponible sur la plateforme MUBI. L’occasion pour les néophytes de découvrir l’univers rétro et ultra-référencé d’une des coqueluches de la cinéphilie française.

Par Julien Lada

Temps de lecture 05 min

Stump the Guesser

Bande-Annonce

Drôle de parcours que celui du touche-à-tout Guy Maddin. Le natif de Winnipeg, ville qu’il a souvent mise à l’honneur dans ses films, tous réalisés dans la capitale de l’état de Manitoba, est un véritable boulimique artistique. Réalisateur, scénariste, monteur, mais aussi écrivain, photographe, plasticien et artiste vidéo, Maddin est avant tout un concepteur d’univers rétro, inspirés de sa passion quasi-fétichiste pour le cinéma muet des années 1920 et 30 et de l’Âge d’or hollywoodien. Preuve en était avec son dernier long-métrage en date, The Green Fog (2017), fascinant exercice de montage et de curation, à travers lequel Maddin s’amusait à recréer l’intrigue de Sueurs Froides d’Hitchcock uniquement à travers des plans repris de films et de séries tournées à San Francisco.

Cette générosité exigeante explique sans doute l’intérêt de longue date que la cinéphilie française a porté à l’œuvre de Guy Maddin. En 2012, le Centre Pompidou lui avait notamment fait l’honneur d’une exposition, Spiritismes, pour laquelle il créait chaque jour des sortes d’exorcismes cinématographiques à la mémoire des films disparus, qui avaient attiré la fine fleur du cinéma d’auteur français. Obsédé par l’héritage des films et le spectre de leur effacement dans le temps, Maddin en avait fait le cœur de l’un des films charnières de sa filmographie, La Chambre interdite, en 2015. Vision fantastique et crépusculaire située dans un sous-marin qui s’enfonce vers la mort et les fonds océaniques, ce film au casting fleuve cinq étoiles (on y croise Mathieu Amalric, Adèle Haenel, Charlotte Rampling, Ariane Labed, André Wilms, Jacques Nolot, Jean-François Stévenin, Udo Kier ou encore Maria de Medeiros) était aussi le premier que Maddin signait à quatre mains avec le cinéaste Evan Johnson. Le tandem fut rejoint par la suite par le frère de ce dernier, Galen Johnson, les trois hommes signant depuis toutes les œuvres de concert.

« Stump the Guesser est une plongée fascinante dans la psyché torturée de son auteur, mais aussi dans une histoire alternative du cinéma. »

C’est le cas de Stump the Guesser, « Tromper le devineur », l’un des deux courts signés par Maddin l’année dernière. Nous plongeant dans une société sans âge ni lieu défini, on y suit les aventures d’un personnage sans nom (campé par Adam Brooks, obscur acteur et réalisateur de séries B canadiennes), qui gagne sa vie comme « devineur » itinérant divertissant les foules de ville en ville. Doté d’un talent surnaturel pour savoir combien de doigts vous cachez derrière votre dos et déjouer les combines des plus tricheurs de ses contemporains, cette attraction des foires communales va voir son destin bouleversé le jour où il rencontre une femme qui lui fait perdre tous ses moyens. L’amoureux transi va cependant faire une découverte inconvenante : non seulement sa dulcinée est promise à un autre homme, mais elle est en plus sa sœur perdue de vue depuis l’enfance. Heureusement pour lui, il fait la rencontre d’un scientifique prétendant avoir élaboré une théorie qui viendrait invalider le concept d’hérédité, et donc lui permettre d’épouser la femme de sa vie et récupérer ses pouvoirs.

Paranormal, phénomènes occultes, incursion dans le monde du rêve éveillé, pulsions réfrénées… Stump the Guesser est un parfait bréviaire des thèmes récurrents de l’œuvre de Guy Maddin. Et son esthétique, fortement marquée de l’empreinte du constructivisme russe et des premiers films du cinéma soviétique, joyeux barnum visuel fait de grandes roues steampunk et de de crabes fluorescents, constitue une excellente porte d’entrée pour ceux qui souhaitent apprivoiser le travail visuel méticuleux du réalisateur. Pour qui acceptera de se laisser entraîner dans le tourbillon (dans tous les sens du terme) orchestré par le savant fou Maddin, Stump the Guesser est une plongée fascinante dans la psyché torturée de son auteur, mais aussi dans une histoire alternative du cinéma, où se seraient rencontrés Eisenstein, Bunuel, Lynch et Terry Gilliam.

Preuve de son influence dans la riche histoire du cinéma canadien, Guy Maddin fait même des émules au sein des nouvelles générations, dessinant les contours de ce qui pourrait presque devenir une « école de Winnipeg » cinématographique. Au premier rang de ces disciples, on retrouve Matthew Rankin, qui présentait au cours de la même Berlinale son premier long-métrage The Twentieth Century, lui aussi disponible sur MUBI. Dans un registre plus satirique, ce film fantasmé inspiré des écrits de l’ancien premier ministre canadien Mackenzie King n’a rien à envier en termes d’érudition cinéphilique et de minutie au cinéma de son aîné.

Stump the Guesser est disponible sur MUBI

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