Riz Ahmed dans Sound of Metal et Mogul Mowgli

La voix de la justice

Dans Sound of Metal, Riz Ahmed incarne un rockeur privé de son ouïe. Dans Mogul Mowgli, il est un rappeur atteint par la maladie. Deux rôles miroir qui nous arrivent en simultané, et en disent long sur le parcours de lacteur-musicien britannique dorigine pakistanaise, guidé par son engagement en faveur du multiculturalisme.

Par Eugénie Malinjod

16 juin 2021

Temps de lecture 5 min

Sound of Metal

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Mogul Mowgli

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Cette semaine, on pourra voir Riz Ahmed dans Sound of Metal, où il est Ruben, un batteur de rock en pleine ascension soudain frappé de surdité, qui va devoir se confronter à son passé de toxicomane. L’acteur est également attendu ces jours-ci dans Mogul Mowgli, dans la peau de Zed, un jeune rappeur souffrant d’une maladie auto-immune, contraint de renouer avec sa famille et ses coutumes au lieu d’entamer sa tournée européenne. Deux rôles jumeaux, où il est question de musique, d’identité et de marginalité… Si l’on se penche d’un peu plus près sur le parcours de Riz Ahmed, on comprend que cet écho n’a rien d’une coïncidence.

Repéré en 2010 dans le film britannique We Are Four Lions, une satire sur quatre apprentis terroristes pieds-nickelés, le natif de Wembley gagne son ticket pour Hollywood six ans plus tard grâce à la mini-série d’HBO The Night of, qui le révèle pour de bon dans la peau d’un étudiant américano-pakistanais victime des défaillances du système judiciaire américain. Un Emmy Award en poche, l’acteur anglais surfe avec dextérité la vague du succès, alternant avec un talent caméléon les blockbusters (Rogue One ou Jason Bourne) et les films d’auteur bien choisis, comme Night Call ou  Les frères Sisters de Jacques Audiard. Cette ascension fulgurante ferait presque oublier que Riz Ahmed s’est d’abord fait un nom dans le rap, sous le blaze de Riz MC. Ses débuts au cinéma sont d’ailleurs indissociables de ses activités de musicien. En 2006, le jeune homme alors âgé de 24 ans décroche son premier rôle dans un long-métrage, le docu-fiction Sur la route de Guantanamo. Il y interprète l’un des trois Britanniques d’origine pakistanaise arrêtés en Afghanistan peu après les attentats du World Trade Center, et retenus prisonniers pour soupçons de terrorisme. Le film est couronné de l’Ours d’argent à la Berlinale, mais au retour, Riz Ahmed est lui-même retenu à l’aéroport de Luton, où il subit une fouille approfondie. « Un des agents des services secrets britanniques m’a demandé si j’étais devenu acteur pour faciliter la lutte en faveur des musulmans, en criant sur moi et en me tordant violemment le bras, se souvenait-il dernièrement dans la revue britannique Sight & Sound. J’aurais pu relater les faits à la télévision mais je n’avais pas envie de passer pour une victime lors de ma première apparition médiatique. » Sa réaction à chaud ? Remettre sa casquette de rappeur pour balancer un titre parodique dénonçant la terreur ambiante, intitulé Post 9/11 blues, qui devient viral et sera temporairement censuré par les radios britanniques.

Cette synergie entre le jeu, la musique et l’expression de ses révoltes remonte à son enfance. Dans la banlieue de Londres où il grandit, le petit Riz Ahmed développe une oreille musicale en mémorisant en douce les paroles injurieuses des cassettes de hip-hop que son frère lui interdit d’écouter. Confronté à la xénophobie, il est fasciné par les points communs entre l’expérience afro-américaine et son héritage d’immigré pakistanais. Et quand il n’écoute pas du rap, il se biberonne aux films d’horreur et s’amuse à rejouer les scènes en se donnant le rôle du héros. Dès son plus jeune âge, musique et cinéma lui servent de terrain de jeu pour exorciser le racisme et questionner sa place dans la société. « Je voulais devenir acteur car j’espérais, en partie, contribuer à déconstruire les stéréotypes et aider l’adolescent que j’étais à s’affirmer un peu plus facilement », écrivait-il dans une tribune du Guardian, peu après le succès de The Night Of. Ce kit de survie ne le quittera pas. Au sein de la prestigieuse université d’Oxford, où il suit de brillantes études de philosophie, de politique et d’économie, son profil de bon élève ne l’empêche pas de se sentir en marge de l’environnement majoritaire, blanc et élitiste. Alors il monte des évènements musicaux et des pièces de théâtre pour favoriser son intégration et celle des autres étudiants issus des minorités.

Et maintenant qu’il est une star hollywoodienne, que fait-il de son engagement ? Dans un premier temps, Riz Ahmed a profité du rêve américain pour s’éloigner des stéréotypes inhérents à son appartenance ethnique et embrasser des emplois plus diversifiés. « La société américaine est divisée, mais le mythe qu’elle exporte est celui d’un melting-pot, où n’importe qui peut résoudre des crimes et lutter contre les extraterrestres, à l’inverse du Royaume-Uni, qui renvoie l’idéal d’un monde blanc composé uniquement de seigneurs », constatait-il en 2016 dans les colonnes du Guardian. Mais malgré les opportunités qui se multiplient, l’acteur peine trop souvent à se reconnaître dans les rôles qui lui sont proposés. Comme s’il n’y avait pas de juste milieu entre le cliché du terroriste de service et un monsieur-tout-le-monde sans plus aucun rapport avec son identité culturelle. Cantonné à des récits qui ne retranscrivent pas son expérience, Riz Ahmed ne tarde pas à se remettre en lutte pour une représentation plus juste et plus égalitaire des minorités raciales au cinéma. Un combat qu’il porte jusqu’au Parlement britannique en 2017, où il démontre le lien entre le manque de diversité à l’écran et le sentiment d’être ostracisé par la société.

Mais le militantisme de l’acteur-rappeur ne serait pas tout à fait complet s’il ne passait pas également par la musique, et en la matière, Sound of Metal et Mogul Mowgli constituent une sorte d’aboutissement. Ou en tout cas, une nouvelle étape dans une démarche ancienne et très personnelle de guerilla créative. Avec ces deux films, ces deux rôles qui lui collent à la peau, Riz Ahmed parvient à concilier ses deux passions en utilisant son nouveau statut pour que le message touche le plus grand nombre. Sans pour autant jouer les donneurs de leçon. « Je me suis rendu compte que je n’allais pas pouvoir représenter trois millions de personnes du même groupe ethnique que moi au Royaume-Uni, confiait-il récemment au magazine américain Esquire. Cela pourrait même paraître un peu condescendant. Alors trouver l’audace de présenter les différentes facettes de mon identité est, selon moi, une façon d’élargir la culture, et c’est ce que la fusion entre le cinéma et la musique m’a permis de faire. » Fort de ce credo, il s’est investi à fond dans ces deux projets. D’abord en donnant leur chance et son crédit d’acteur reconnu à de jeunes réalisateurs, Darius Marder et Bassam Tariq, dont ce sont les premiers longs-métrages. Ensuite en produisant et co-écrivant Mogul Mowgli, une histoire fidèle à son vécu, qui interroge l’impact de son héritage sur son quotidien et les enjeux des jeunes générations issues de l’immigration, de la crise identitaire au rap en passant par les traditions de sa communauté. Et si Sound of Metal semble a priori moins autobiographique, sa peinture d’un musicien vulnérabilisé en raison de sa surdité et de ses problèmes d’addiction offre une représentation à une communauté elle aussi stigmatisée.

Dans ses deux films au scénario militant, la musique et le son s’imposent comme le principal vecteur du propos dont Riz Ahmed se fait le porte-voix. Dès la scène d’ouverture de Mogul Mowgli, la chanson Half Moghul Half Mowgli, composée par le groupe de l’acteur, Swet Shop Boys, annonce la couleur, évoquant le déracinement d’un Mowgli contemporain dans la jungle urbaine. Une rage que l’on retrouve dans son album The Long Goodbye, lancé en parallèle du film et accompagné d’un court-métrage du même nom, qui dénonce la montée du racisme au Royaume-Uni et s’adresse à tous les désillusionnés, qui, comme lui, à l’heure du Brexit, nourrissent des sentiments ambivalents vis-à-vis de leur terre d’accueil. Du côté de Sound of Metal, c’est paradoxalement le silence, mis en scène grâce à un impressionnant travail sur le son (pour lequel le Français Nicolas Becker a reçu un Oscar), qui immerge le spectateur dans les sentiments de colère et parfois de désespoir qui traversent Ruben. Riz Ahmed a consacré sept mois à apprendre la langue des signes et la batterie, et à passer du temps aux côtés de la communauté sourde et des batteurs de punk-rock, pour restituer cette expérience avec véracité.

Car si Sound of Metal et Mogul Mowgli démontrent quelque chose, au-delà de leur engagement politique, c’est le talent de Riz Ahmed a saisir les émotions de ses personnages, ce talent qui nous avait sauté aux yeux il y a cinq ans dans The Night Of, et qui n’a peut-être jamais été aussi flagrant que dans ces deux films-là. C’est finalement en nous offrant ses rôles les plus personnels, en assumant pleinement sa double facette d’acteur et de musicien, que l’acteur a su se montrer le plus convaincant dans son art. L’authenticité est encore le meilleur moyen d’être vu et entendu : la preuve, avec Sound of Metal, Riz Ahmed est devenu le premier Musulman nommé à l’Oscar du meilleur acteur.

Sound of Metal, en salle le 16 juin. 

Mogul Mowgli, sur OCS à partir du 20 juin. 

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