Sorry to bother you

Prière de déranger

Film. Entre critique acerbe du capitaliste digital et satire sociale bien barrée, la première réalisation du rapper Boots Riley est un Ovni !

Temps de lecture 3min

Par Franck Lebraly

Vu comme ça, on pourrait penser que Sorry To Bother You est un mélange savant des big datas de ce qui marche aujourd’hui : Un rappeur indé à la réal (Boots Riley, MC de The Coup), l’acteur d’une des meilleures séries du moment (Lakeith Stanfield d’Atlanta également vu dans Get Out…), la starlette qui monte (Tessa Thompson : Creed, Dear White People, MIB4), et en prime le beau gosse de Call me by your name (Armie Hammer). Tout ça réunit dans une comédie black un brun démago avec Forrest Whitaker pour producteur (Bird, Dope, Forgiven…).

Mais le film va bien au-delà de ce name dropping un poil clinquant. Quand Cassius est embauché dans une boîte de télémarketing, il ne sort pas deux phrases avant qu’on lui raccroche au nez. Son voisin de bureau plus âgé lui file le tuyau d’imiter la voix d’un blanc, qui lui ouvrira les portes d’un ascenseur social démesuré où il trouvera gloire, respect et admiration. Ce mentor est d’ailleurs interprété par Danny Glover, l’acteur culte de L’Arme Fatale devenu, ces dernières années, militant de gauche et soutien de Bernie Sanders. Et justement, rien ne va plus lorsque les collègues de Cassius décident de se mettre en grève et qu’il doit choisir entre eux et son ascension. Perdre quelques potes ou beaucoup de dollars tel est son dilemme ?

Ce face à face entre les jeunes du ghetto et les acteurs des nouvelles technologies était déjà au centre de Blindspotting… Mais Sorry To Bother You ne s’arrête pas là. Cassius rencontre Armie Hammer son patron. Milliardaire de la Silicon Valley qui a réinventé l’esclavage et qui lui propose un pacte faustien… Et là, la limite entre le burlesque et le kitch franchement dérangeant est franchi… C’est un peu comme la bière de trop. Boots Riley, également auteur du scénario en souffrance depuis 2012, balance de nouveaux thèmes à chaque scène, comme un prolongement de son flow de MC. Le passage avec (attention spoiler !) des chevaux humains, vraiment moches par manque de moyen sans doute, semble être le couplet de trop. Il renvoie le film — jusque-là prometteur — vers la série Z. On pense néanmoins à Michel Gondry (Eternel Sunshine of the Spotless Mind) et à Charlie Kaufman (scénariste de Dans la tête de John Malkovitch, notamment) face à la folie de ce trip indé et militant, bordélique et inégal. Définitivement hors norme !

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