Il était une fois… Sergio Leone

Pour une poignée de Spaghettis

Cult. La cinémathèque française consacre une exposition et une rétrospective à Sergio Leone. Le roi du western spaghetti boudé par la critique en son temps et adulé par trois générations de cinéastes depuis. Explications.

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Par Bruno Icher

La Cinémathèque Française ouvre sa saison 2018 avec l’exposition Il était une fois… Sergio Leone, une déclaration d’amour à un cinéma par essence populaire. Le maestro barbu avait certes déjà été reçu à la Cinémathèque en 1986.

Cinquante ans après les premiers westerns de Sergio Leone, le cinéaste sera donc dans tous les esprits en cet automne 2018

Mais cette fois, l’hommage est solennel, enthousiaste et promis à un succès de fréquentation. Le directeur Frédéric Bonnaud insistait d’ailleurs sur le lien fort qui unissait les films de Leone au public français dans son discours introductif, à l’occasion du vernissage, le 8 octobre. Rappelant qu’Il était une fois dans l’Ouest avait été un triomphe en France (10 millions d’entrées en 1968) alors qu’il avait été boudé par un public italien, probablement un peu gavé de westerns spaghetti plus ou moins médiocres, mais aussi aux Etats-Unis, en retard à l’allumage pour le coup.

Or, cet engouement dans les salles françaises a été, en cette fin des années 60, accompagné d’un désaveu critique à peu près complet. Dans les journaux et revues, des mots durs ont été écrits (dont le récurrent « escroc ») pour décrire l’autorité avec laquelle Leone s’est approprié les codes du western, son univers de prédilection. Jusqu’à l’accuser d’avoir achevé pour de bon le genre, pourtant moribond depuis des années. C’était aller un peu vite en besogne. En premier lieu parce que Leone, comme le montre efficacement l’exposition, adorait passionnément le western, au point d’avoir été un fan de Fumetti, ces bandes dessinées à quatre sous de l’Italie d’après guerre, et qu’on voit mal en lui son fossoyeur machiavélique. D’autre part parce que le western n’a pas attendu Leone pour entamer son agonie. Quasiment au même moment, Sam Peckinpah atteint les sommets du sous-genre « crépusculaire » avec La Horde sauvage. Se plaçant dans la lignée du plus mélancolique des John Ford (Les Cheyennes), ou de Delmer Daves (La Flèche brisée) qui avaient jeté les bases d’un examen de conscience de l’Amérique. Examen qui allait trouver plus tard son paroxysme avec les contestataires Soldat bleu de Ralph Nelson ou  Little Big Man d’Arthur Penn, tous deux sortis en 1970. Tous les mythes de la conquête de l’ouest se fracassaient alors sur la dure réalité historique. Les fiers pionniers ont domestiqué l’ouest sauvage, certes, mais au prix de l’esclavage comme système économique et du génocide des nations indiennes comme horizon idéologique.

Comme le montre l’exposition, Leone, lui, n’est absolument pas dans cette logique de dénonciation. Il a retenu du western ce qui, enfant et adolescent, l’excitait au plus haut point. D’autant qu’avec un paternel réalisateur, Roberto Roberti, pseudonyme de Vincenzo Leone, pionnier du western en Italie (La Vampire indienne, 1913), son chemin semblait tout tracé. Le travail des équipes de la Cinémathèque et du commissaire de l’expo, Gianluca Farinelli, gourou et patron du festival de Bologne, est donc un voyage délicieux et remarquablement étoffé dans le travail de Leone. Elle montre les origines de son art (citations des artistes fétiches du cinéaste, parmi lesquels les peintres De Chirico ou Degas) et ses sources d’inspiration cinématographiques, dont un formidable montage en parallèle de Yojimbo (1961) de Kurosawa, choc de jeunesse pour Leone, et de son Pour une poignée de dollars(1964), démontrant comment l’art cinématographique se nourrit lui-même d’un réalisateur à un autre, par delà les frontières et les langues.

Le travail est donc si convaincant, avec la dose réglementaire de fétichisme inhérente à l’exercice (les livres de la bibliothèque de Leone, les costumes portés par les acteurs, divers objets de son bureau…), que l’exposition donne envie d’explorer d’un peu plus près le vaste continent du legs de Leone sur le cinéma des années 80 à aujourd’hui. Ce sera, peut-être, l’objet d’une autre exposition mais cela permettrait de mesurer – au moins autant que l’examen de la genèse de son œuvre – l’impact qu’ont eu, et ont encore, ses films sur les auteurs contemporains.

De manière assez transparente, des personnages tels que le Driver de Nicolas Winding Refn (Drive, 2011), le Mariachi de Robert Rodriguez (El Mariachi, 1993), le Mad Max de George Miller (Mad Max, 1979), le Snake Plissken de John Carpenter (New York 1997, sorti en 1981), le Terminator de James Cameron, voire le Anton Chigurh des frères Coen (No Country for old men, 2007), ont tous quelque chose à voir avec l’étranger sans nom, impitoyable et frappé de mutisme, qu’incarnait Clint Eastwood dans la trilogie du dollar (Pour une poignée de dollars ; Pour quelques dollars de plus ; Le Bon, la Brute et le Truand). Eastwood lui-même, surgi d’un relatif anonymat grâce au triomphe des films de Leone, a longtemps surfé sur cette fascination iconique dont il est devenu le dépositaire au moins autant que son créateur (de L’Inspecteur Harry à Gran Torino, en passant par Pale Rider, le cavalier solitaire). Dans la foulée, on peut citer le manteau de Neo dans Matrix (Lana et Lilly Wachowski, 2000) réminiscence des cache-poussières d’Il était une fois dans l’ouest. Tout comme les James Bond incarnés par Daniel Craig ont beaucoup joué sur un déracinement du personnage, proche de celui de ceux de Leone. Quant à Quentin Tarantino, amoureux transi de ce cinéma et successeur assumé, chacune de ses créatures, des gangsters stylés de Reservoir Dogs aux cas sociaux des Huit Salopards, en passant par la moitié des tueurs de Kill Bill, aurait pu figurer dans la distribution des films de Leone.

Il est tout aussi fascinant de constater que les films du maître du Western Spaghetti ont eu, instantanément après leur sortie, un impact massif et planétaire. A titre d’exemple, plusieurs films du studio hong-kongais Shaw Brothers, en son âge d’or de la fin des années 60, ont gaiement puisé dans les motifs de Leone. Le réalisateur Chang Cheh notamment (le Retour de l’Hirondelle d’or, le Bras de la vengeance…), a construit un paquet de ses mises en scène sur le modèle « leonien » à commencer par les duels, à un contre dix, avec montée en puissance de la tension en jouant de l’alternance des plans larges et rapprochés précédant une déchaînement bref et brutal de violence.

Cinquante ans après les premiers westerns de Sergio Leone, le cinéaste sera donc dans tous les esprits en cet automne 2018, grâce à l’exposition et la rétrospective de la Cinémathèque, mais aussi grâce à la sortie, fin octobre, du jeu Red Dead Redemption 2 signé par le studio RockStar Games (créateur de la fameuse saga des GTA). Dans cette fresque colossale, le personnage piloté par le joueur pourra se balader dans un Ouest plus si sauvage que cela, où les grizzlis des montagnes, les serpents du désert et les bandits de grand chemin doivent désormais cohabiter avec le chemin de fer et les usines. Les premières images, abondamment diffusées sur le net, rappellent étrangement quelque chose…

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