Rose Glass, réalisatrice de Saint Maud

« Ce n’était pas évident pour moi que Saint Maud était un film d’horreur. »

Grand Prix du festival de Gérardmer 2020, Saint Maud, premier long d’une surdouée anglaise nommée Rose Glass, a mis longtemps à trouver le chemin des écrans, Covid oblige. Finalement diffusé directement sur Canal+, ce film d’horreur atypique marque l’émergence d’une réalisatrice d’envergure. On a eu la chance de lui parler.

Interview : Caroline Veunac

27 septembre 2021

Temps de lecture 5 min.

 

Saint Maud

Trailer

Prometteuse, le mot est trop faible. Avec son premier long-métrage, Saint Maud, Rose Glass témoigne d’une maîtrise impressionnante, de la part d’une jeune femme de 30 ans qui n’avait jusque là réalisé que quelques courts-métrages, comme des ébauches d’une œuvre dont l’aboutissement force le respect. Si l’on regrette, vu son ambition, que le film ne soit pas vu en salle, on se réjouit à défaut qu’il soit visible sur Canal+ (après notamment The Nest et Ammonite, ce n’est pas la première fois cette année que la chaîne hérite de films taillés pour le grand écran). Dans un décorum qui emprunte au film d’horreur tout en cherchant à lui échapper, Rose Glass, naviguant en eaux troubles entre Bergman et Polanski, raconte la rencontre de deux femmes que tout oppose, Maud (la révélation Morfydd Clarke) et Amanda (Jennifer Ehle). La première, infirmière à domicile qui croit converser directement avec Dieu, prend en charge la deuxième, une célèbre danseuse à la liberté d’esprit démonstrative, rongée par un cancer. Maud se met en tête de sauver l’âme d’Amanda, sur un mode paranoïaque à la Travis Bickle (la réalisatrice cite Taxi Driver en premier sur la liste de ses références). Ici pas de jump scare ni d’horreur farces et attrapes, mais plutôt une plongée, tout aussi flippante, au cœur d’un dérèglement psychique, d’une perception dérangée du monde, d’une soif d’absolu maladive et dangereuse. Cloîtrée, la mise en scène de Rose Glass nous enferme avec le personnage dans sa prison intérieure. Jusqu’au dernier plan du film, terrifiant, qui n’a pas fini de nous hanter.

 

Julia Ducournau, Jennifer Kent, Ana Lily Armipour… Une nouvelle garde de réalisatrices s’empare avec vigueur du cinéma d’horreur et contribuent à en renouveler les motifs. Avez-vous le sentiment d’appartenir à ce mouvement ?

Au début, ce n’était pas évident pour moi que Saint Maud était un film d’horreur. J’ai rédigé un traitement que j’ai envoyé à mon producteur et c’est lui qui m’a dit : « Ça ressemble à un film d’horreur. » J’ai dit OK, mais je crois que j’ai continué à le considérer plutôt comme une étude de caractère. En écrivant, je faisais des allers-retours entre thriller et horreur, mais sans revoir ni penser à des films d’horreur en particulier. Les éléments de film d’horreur classique sont arrivés sur le tard. Soudain l’horreur a pris le pas. Ça s’est fait de manière assez organique.

Le corps féminin est l’un des grands sujets du cinéma d’horreur, le plus souvent érotisé par un regard masculin. Dans Saint Maud, il semble y avoir quelque chose de spécifiquement féminin dans le rapport des personnages à leur corps – réprimé chez Maud, dénaturé par la maladie chez Amanda. Pensez-vous qu’en tant que femme, vous avez abordé ce sujet différemment ?

Je ne dis pas que les choses que vous suggérez n’existent pas, mais en tant qu’autrice, je ne pense pas consciemment à la mystique du corps féminin. Il est certain que je suis intéressée par le corps, que la perspective que j’ai dessus est la mienne, et que je suis une femme. J’imagine que ça change quelque chose. Mais j’ai du mal à vous dire objectivement quoi. Ce qui est sûre c’est que je n’ai pas voulu consciemment dire quelque chose sur le genre. Je m’intéresse plus aux individus. Et thématiquement, ce qui me passionne, c’est le cerveau et le corps, et comment ils peuvent aller mal.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce dont je veux parler, c’est de la relation entre l’esprit et le corps. Le fait que nous sommes tous prisonniers de nos corps. Ce qui est étrange, c’est que dans notre esprit, on peut parcourir des endroits immenses et complexes, penser à l’existence, avoir de grandes idées, mais en même temps nous sommes tous prisonniers de ce bizarre tas de chair qui peut tourner mal. J’ai eu des problèmes de troubles alimentaires étant ado et je suis sûre que ça a un lien… La manière dont nous traitons ou maltraitons tous notre corps m’intéresse énormément.

« J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec les codes de l’iconographie religieuse. »

Maud est une mystique, mais vous explorez la frontière fine qui sépare la transcendance et la maladie mentale…

Je m’intéresse à la psychologie donc je lis beaucoup de choses sur les pathologies psychologiques. Je ne pense pas qu’on puisse dire que la religion est une maladie du cerveau, mais je pense que c’est intrinsèquement une manifestation qui se produit dans le cerveau humain. Je ne m’appuie pas sur des connaissances scientifiques, mais l’idée de Dieu ou d’une chose plus grande, je pense que ça vient d’un endroit dans l’esprit humain. Nous menons un dialogue continu dans notre tête et donc on se dit naturellement qu’il doit bien y avoir quelqu’un qui écoute. Et peut-être, après tout, qu’il y a une force suprême… La maladie, c’est plutôt la manière dont la religion s’organise.

L’iconographie chrétienne est un autre motif classique du cinéma d’horreur. N’aviez-vous pas peur de tomber dans les clichés du genre ?

Non, j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer avec les codes de l’iconographie religieuse ! En tant qu’ex-élève d’un école catholique, c’est forcément fun de désacraliser tout ça de temps en temps. Maud a l’air d’une sainte-nitouche mais je ne voulais pas qu’elle soit passive. C’est facile de la définir comme une victime, la pauvre Maud, mais je voulais qu’elle se comporte comme une connasse parfois, qu’elle soit arrogante, drôle, qu’elle fasse des erreurs, et puis qu’à certains moments elle soit un peu dégoûtante. Elle a l’air d’une première communiante, mais c’est un personnage sexuel. Nous explorons sa sexualité, même si elle n’est pas « sexy » pour autant.

Ce n’est pas anodin d’avoir fait d’Amanda une artiste. Était-ce un moyen de dire que l’art libère, mais qu’il consume également ?

Pour Maud, qui fait un travail très pratique, c’est une porte vers un certain imaginaire. Mais par ailleurs, je voulais montrer que la maladie mentale semble plus acceptable ou glamour pour des artistes à succès. Dans le milieu artistique, c’est romantisé ; alors que chez les gens comme Maud, qui bossent dur et n’ont pas le temps d’avoir leurs propres problèmes, c’est moins bien accepté. En tant qu’artiste, Amanda a un niveau d’autonomie et une familiarité plus importante avec son propre esprit. Si elle expérimentait les mêmes symptômes que Maud, elle saurait qu’il faut appeler à l’aide.

Le producteur Jason Blum (ndlr : le patron du cinéma d’horreur américain actuel) a le chic pour mettre le grappin sur les nouveaux talents. Il vous a appelée ?

Pas encore (rires)… On m’a offert des trucs rigolos que j’ai poliment déclinés. Je ne pense pas que je serais la meilleure pour ce genre de films. Redemandez-moi dans quelques années.

Alors quel sera votre film d’après ?

Je travaille avec un ami sur une comédie romantique, enfin une sorte de comédie romantique, mais pas très gentille… J’ai aussi un autre projet seule, et celui-là se situe plutôt du côté de l’horreur.

Saint Maud, le 29 septembre à 20h53 sur Canal + Cinéma et disponible sur Canal+ à la demande.

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