ROMA

Un cœur simple

Film. Premier long-métrage d’une plateforme de VOD à recevoir un grand prix dans un Festival (Lion d’Or à la Mostra de Venise), Roma ou l’atterrissage virtuose du réalisateur de Gravity, Alfonso Cuarón.

Temps de lecture 4min

Par Claire Bonnot

Dès le premier plan-séquence de ce film quasi-autobiographique, le ton est donné : la pellicule sera esthétique, réaliste avec une pointe (bienvenue) de surréalisme. Entre la terre et le ciel, le trivial et le transcendant, bref, l’histoire de la vie, d’une vie. Celle, en l’occurrence, de la femme qui lave et relave un carrelage dans lequel se reflète le passage d’un avion. Elle s’appelle Cleo (Yalitza Aparicio). Elle est domestique d’une maisonnée bourgeoise située en plein centre de Mexico dans ce quartier au nom d’Italie, Roma, titre – d’abord énigmatique – du film.

“Cuaron filme la vie au plus juste choisissant le noir et blanc de ses souvenirs, les longs travelling contemplatifs et un réalisme esthétique”

Elle en est l’héroïne et le miroir d’une autre femme de classe sociale supérieure, sa maîtresse. Toutes deux sont amoureusement filmées par un enfant devenu grand – Alfonso Cuarón plus connu pour ses films de science fiction comme Gravity ou  Le fils de l’homme. Il rend ainsi un hommage vibrant à sa mère et à son ancienne nounou à qui le film est dédié : Libo.

 La caméra filme au détail près les travaux domestiques effectués sans relâche, méthodiquement et presque docilement par Cleo, allant du rangement des chambres à la tisane du soir en passant par le nettoyage des crottes de chien sur le carrelage de l’entrée. Cette indienne de la communauté mixtèque aide à canaliser le tourbillon quotidien de quatre enfants d’une famille en apparence idéale. Emblématique la classe moyenne supérieure du Mexique des années soixante-dix.

Un monde sans homme
L’harmonie ne dure pas, le père prétextant un déplacement professionnel pour ne plus jamais revenir. Au même moment, Cleo se laisse séduire par un jeune homme peu scrupuleux qui prend la fuite dès l’annonce d’une grossesse non désirée. Ces deux femmes qu’un rapport de classe séparait dans une hiérarchie distanciée se retrouvent unies dans une souffrance partagée puis dignement endurée. « Peu importe ce qu’ils disent, nous les femmes sommes toujours seules », confiera la mère trompée à sa domestique abusée.

Si les hommes de Roma sont omniprésents c’est par le vide terrible qu’ils ont contribué à créer : le salon se retrouve dévasté après que le père a récupéré ses bibliothèques tandis que l’amant de Cleo refuse violemment sa paternité entraînant – sans doute – la naissance d’un enfant mort-né, symbole d’une béance atroce. Face à ces comportements inhumains, l’attitude de ces femmes force l’admiration, refoulant les larmes, les cris ou l’apathie et perpétuant tant bien que mal une vie de famille pour les quatre petits.

Après avoir décroché la lune avec Gravity en 2013, récompensé de 7 Oscars, Alfonso Cuarón revient sur la terre ferme, sa terre natale et ses racines, traçant ainsi une fresque de l’humanité soumise aux affres de la réalité. Il filme la vie au plus juste choisissant le noir et blanc de ses souvenirs, les longs travelling contemplatifs, un réalisme esthétique décortiquant chaque détail et émotion et une héroïne interprétée par une novice, Yalitza Aparicio, découverte dans un village d’Oaxaca. Cette extrême précision des plans laisse surgir des émotions très vives, aussi pures qu’elles sont déchirantes.

Un film pop et politique
La toile de fond de ce drame profondément intime oscille entre les références politiques a une société en plein bouleversement dont la scène climax de la répression des manifestations étudiantes de 1971 (Massacre du Corpus Christi), et le côté pop et décalé de projections de La grande vadrouille (1966) ou des Naufragés de l’espace (1969). Ou encore celle d’un enfant déguisé en cosmonaute pour la fête de Noël – clin d’œil à Gravity. Film d’auteur en forme de saga historico-familiale, Roma se laisse contempler comme une œuvre d’art où chaque point de lumière, chaque regard et chaque élément dessinent les instants – sublimés et glorifiés – de la vie d’une femme, sans exceptionnel dénouement mais avec une débordante humanité.

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