Raphaël Bluzet, réalisateur de Eggshelter

« Ce qui est central pour moi, c’est l’émotion. »

Lauréat du Fonds pour les talents émergents d’Ile-de-France pour son troisième court-métrage, Eggshelter, Raphaël Bluzet nous parle de ce film très personnel, où l’animation et la prise de vue réelle se combinent au profit d’une histoire d’enfance et de transmission. À découvrir à partir du 7 octobre sur Vimeo.

Interview : Caroline Veunac

7 octobre 2021

Temps de lecture 5 min

 

Un grand-père au look de bandit, un petit garçon qui ne sait pas où se trouve sa maman, une cavale à deux sur une route de campagne… Eggshelter, le troisième court-métrage de Raphaël Bluzet, motion designer ascendant réalisateur, démarre par un enchaînement de séquences animées au trait sensible, d’où émanent le goût du rêve et l’amour du cinéma. Puis c’est l’accélération, et un déluge de plans réels très cut nous entraînent en l’espace de quelques instants une décennie plus tard, où l’on retrouvera le jeune héros devenu adulte pour un petit jeu de piste mémoriel et un épilogue émouvant. À 30 ans, avec déjà deux autres courts-métrages à son actif (IN, en 2015 ; puis We Need to talk about Cosmos en 2018), Raphaël Bluzet met en images avec talent les émotions liées à l’enfance et au souvenir. Il nous raconte la naissance de son film et sa manière de travailler.

Pouvez-vous nous raconter la genèse d’Eggshelter ?

Le projet vient du fait que j’approchais la trentaine. Je suis très attaché à l’enfance, et j’ai peur que la vie adulte m’en éloigne. Il y a quelques années, mon grand-père nous a quitté, et on a retrouvé un sac plein de VHS. Quand j’étais petit, il avait une caméra, et il m’a filmé pendant toute mon enfance, de 0 à 8 ans. C’est d’ailleurs avec sa caméra que j’ai fait mes premiers films, à 14 ans. Quand j’ai retrouvé ces VHS, je l’ai ai digitalisées et j’ai tout regarder. Il y avait huit heures de film, c’était des séquences longues, et ça a complètement remis en question mon rapport aux souvenirs. Ce que j’ai vu était totalement différent de ce que je croyais me souvenir. Je pense que le souvenir peut aussi bien diaboliser que magnifier, et c’était hyper-intéressant de comprendre des choses en regardant ces films. C’est un cadeau énorme, ça m’a épargné dix ans de psychanalyse !

 

Et ces films ont donné naissance à un autre film !

Oui, d’ailleurs il y a des séquences de ces VHS qui sont insérées subliminalement dans Eggshelter ! Et il y a plein d’easter eggs dans mon film, comme les coordonnées GPS sur la clé, qui correspondent à l’adresse de mon grand-père…

L’originalité d’Eggshelter tient également au mélange de l’animation et du film. Quelles émotions vouliez-vous susciter en mariant ces deux techniques ?

Je pratique le film et l’animation, ce sont deux médiums que j’adore et j’ai besoin de l’un comme de l’autre. Mais ce qui est central pour moi, c’est l’émotion, c’est ça que je veux donner. Les thématiques du temps qui passe et des choix de vie me touchent particulièrement. Dans l’histoire que j’ai écrit, l’animation symbolisait quelque chose de plus enfantin. Il y a un côté un peu vaporeux dans mon style qui appartient plutôt au monde du rêve et du souvenir, tandis que la partie film est davantage liée au réel et au présent.

Le film se distingue aussi par la qualité de son habillage musical et sonore. Comment a-t-il été conçu ?

Je suis convaincu que le son fait 50% de l’image. J’ai travaillé avec deux compositeurs, Faubourg et Yovoh, qui ont composé dès l’écriture. Ils ont donné la texture, les nappes, l’ambiance sonore, et moi j’écrivais et j’animais à côté. Le son et l’image se sont construits en parallèle, il y avait une sorte de ping pong, les deux s’alimentaient. Je suis hyper fier du résultat.

 

Le film va maintenant être diffusé. Quelle sera la prochaine étape pour vous ?

Je n’ai jamais fait les choses dans l’ordre ! J’ai appris à dessiner tard, et Eggshelter, je l’ai tourné avant d’avoir des producteurs. Donc là je vais chercher des productions, et en attendant j’écris beaucoup. Là j’ai trois-quatre scénarios de court-métrages, et je travaille sur un projet commissionné par un musée, une anthologie regroupant dix animateurs du monde entier sur le thème des émotions. J’aimerais parler des croyances de l’enfance. Quand j’étais petit, je croyais que les gens aux yeux bleus voyaient bleu, ou que les feux rouges étaient activés par des personnes sous terre qui appuyaient sur des boutons… Je veux recueillir des témoignages d’enfants à travers le monde et créer des animations comiques sur ces croyances, pour montrer l’universalité de l’enfance.

Et le long-métrage, ça vous tente ?

J’aimerais adapter Eggshelter en long, mais plutôt dans une démarche de co-écriture. Je pense avoir l’énergie, l’analyse et le recul nécessaires pour le long, je me suis pas mal formé pendant le confinement, mais je manque encore d’armes et j’ai besoin de me sentir entouré. Dans la vie, ma priorité, c’est la liberté de création. Je n’ai pas les yeux plus gros que le ventre. Je préfère faire un film de 11 mn réussi qu’un film de 90 mn raté. Comme j’ai commencé à 15 ans, j’ai un rapport assez pubère à la création et je tiens beaucoup à garder cette forme d’amateurisme. Quand c’est trop processé, trop pro, ça m’intéresse moins. Donc je voudrais trouver un producteur qui me laisse cette liberté. Comme disait Quentin Dupieux dans une masterclass, ce « frisson de l’amateur ».

Eggshelter, sur Vimeo à partir du 7 octobre

https://vimeo.com/625277053

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