Promising Young Woman

Emerald Fennell, femme d’avenir

Récompensé cette année par l’Oscar du meilleur scénario, Promising Young Woman met en lumière le talent engagé et créatif d’Emerald Fennell, actrice devenue autrice dont c’est le premier long-métrage. Une révélation. 

Par Quentin Moyon et Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Promising Young Woman

Bande-Annonce

Promising Young Woman. En français : « une jeune femme pleine d’avenir. » À voir Emerald Fennell, émue et modeste, serrer contre elle sa statuette du meilleur scénario lors de la dernière cérémonie des Oscars, on s’est dit que le titre de son film pouvait tout aussi bien s’appliquer à elle. Car la consécration de cette autrice-réalisatrice britannique de 35 ans (déjà applaudie à Sundance et récompensée aux BAFTA), qui transporte avec elle un monde de cinéma à la fois effronté et inclusif, vient donner un coup de fouet à l’institution hollywoodienne, un coup de frais à nos représentations, et promet en effet un avenir meilleur pour la place des femmes devant et derrière la caméra.

Prix de la réalisation pour Chloé Zhao (Nomadland) ; prix du scénario pour Emerald Fennell… Les Oscars 2021 ont mis les femmes à l’honneur, et la répartition des lauriers sonnait juste. Car si Promising Young Woman est de bonne facture visuellement, le film se distingue surtout par son art du récit. Pas étonnant quand on connaît le parcours d’Emerald Fennell : si elle se fait d’abord connaître comme actrice au cinéma (Anna Karenine, Pan, The Danish Girl), et plus fameusement dans les séries Call The Midwife et The Crown (où elle fait un passage remarqué dans la peau de Camilla Parker-Bowles), la Londonienne a depuis toujours des ambitions d’écriture et une voix à faire entendre. Un premier roman fantasy pour la jeunesse en 2012, Shiverton Hall, puis trois autres dans les années qui suivent… Son inspiration se manifeste d’abord sous une forme littéraire.

En 2018, elle fait un premier pas vers la réalisation en devenant showrunneuse de la saison 2 de Killing Eve, la série créée par sa compatriote et grande copine Phoebe Waller-Bridge. Un job qui la met en contact avec tous les postes de fabrication, et lui donne sans doute l’expérience et le sentiment de légitimité pour songer à sa première réalisation. Intrépide, la jeune femme est enceinte de six mois quand elle se lance dans le tournage de Promising Young Woman : un thriller féministe à l’humour noir, où celles et ceux qui ont lu ses romans reconnaîtront son style, acide, téméraire et foncièrement engagé. En racontant l’équipée vengeresse de Cassie Thomas (Carrey Mulligan), une étudiante en médecine déchue qui veut faire justice à sa meilleure amie, laquelle s’est suicidée après avoir été violée par un de leurs camarades de promo, la désormais réalisatrice (encouragée par sa productrice Margot Robbie) confirme son talent pour mettre les codes de la pop culture au service d’un manifeste politique.

« un plaidoyer en faveur de
l’inclusivité »

En faisant de son héroïne un personnage bigger than life, dont le costume d’infirmière et les cheveux multicolores évoquent à la fois des figures tarantiniennes et la méchante DC Comics Harley Quinn, la réalisatrice nous entraîne dans la projection fantasmatique d’une exigence bien réelle : la nécessité d’un système judiciaire plus efficace sur les questions de crimes sexuels. En l’absence de réponse satisfaisante de la société, Cassie adopte une méthode plus expéditive. Et le film, avec son esthétique sucrée, s’amuse un temps des clichés du rape and revenge, rappelant notamment le décorum universitaire et les opérations punitives des étudiantes justicières de la série Sweet/Vicious. En faisant le choix du récit criminel (même si Cassie ne fait qu’humilier les hommes qu’elle pourchasse, sa traque donne lieu à un body count), Emerald Fennell prône cinématographiquement l’intransigeance vis-à-vis des prédateurs sexuels et hurle aux institutions, notamment éducatives, de cesser de perpétuer la culture du viol.

Au-delà de la violence sexuelle, son travail est plus globalement un plaidoyer en faveur de l’inclusivité. Non-genré formellement, à la fois rape and revenge, rom-com, drame, thriller et comédie noire, le film, inclassable, porte en lui-même cette affirmation. Naviguant d’un style à l’autre, se jouant des clichés, il nous déboussole pour mieux nous rattraper avec des références familières, au croisement du cinéma (le prénom Cassie apparaît comme un hommage appuyé à Carrie au bal du diable, où l’héroïne était appelée « Cassie » par un prof mal intentionné et subissait le harcèlement des autres lycéens) et de la littérature (Roald Dahl, Muriel Spark, Edgar Allan Poe ou Stephen King, donc). Utiliser les codes de nos lectures d’enfance et d’adolescence, contes de fées et récits d’horreur, permet à la réalisatrice de délivrer une œuvre inclusive, en ce sens qu’elle est capable de parler à un large public de manière à la fois fun, symboliste, éducative et politique.

L’inclusivité de Promising Young Woman, et sa qualité narrative, passent également par les personnages, qu’Emerald Fennell dessine avec brio. Alison Brie dans la peau d’une amie de fac qui a tout réussi au prix d’un déni total de son passé ; Alfred Molina dans celle d’un ancien avocat spécialisé dans la défense des criminels sexuels… Tous deux vont peut à peu ouvrir les yeux sur l’injustice barbare qui les entoure, à laquelle ils ont indirectement participé. En parallèle du parcours complexe de l’amazone Cassie, d’autres encore, tous aussi différents que bien écrits, viennent compléter la galerie, apportant de la nuance au film et le protégeant du manichéisme. Ouverture au public et générosité jubilatoire n’empêchent ainsi pas Emerald Fennell d’aller creuser en profondeur et en finesse des thématiques qui lui sont chères, où les femmes fortes mais fêlées ont la part belle. Le résultat est explosif, et propulse Emerald Fennell très haut dans les cieux du cinéma contemporain.

Promising Young Woman est en salle le 26 mai.

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