Pelé, sur Netflix

Documentaires sportifs, la fabrique des dieux

Le Roi Pelé est de retour. Pas au Maracanã, mais sur Netflix, qui propose depuis quelques jours un documentaire consacré au légendaire footballeur brésilien. Avec ce film, la tendance se confirme : les portraits de sportifs ont le vent en poupe, et la plateforme est en passe de s’en faire une spécialité. Analyse d’un phénomène.

Par Paul Rothé et Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Pelé

Bande-Annonce

Depuis fin février, Netflix propose un long documentaire sur Edson Arantes do Nascimento, dit Pelé. Le film réalisé par les Britanniques David Tryhorn et Ben Nicholas, qui retrace la formidable ascension du roi du foot, parti de rien pour devenir une légende, vient s’ajouter à une liste de plus en plus longue de docs à la gloire de sportifs, initiés par la plateforme. Les footballeurs Antoine Griezmann et Nicolas Anelka, les basketteurs Michael Jordan et Tony Parker, ou encore la star du MMA Conor McGregor… Netflix mise sur les champions, et récolte l’or. À titre d’exemple, The Last Dance, la série consacrée à Michael Jordan, a été vue par 24 millions de foyers dans le monde (hors États-Unis), lors de ses quatre premières semaines de disponibilité en avril-mai 2020. Que ce succès monstre corresponde à l’explosion du Covid est une coïncidence significative, prouvant une fois de plus le flair de la firme de Ted Sarandos : avec la crise sanitaire, les documentaires sportifs allaient devenir un substitut pour des millions d’amateurs de sport privés des émotions du stade un peu partout dans le monde. Par les temps qui courent, ces films généralement construits comme des success stories à la gloire de l’endurance physique et de la force de caractère fournissent un exutoire à notre sédentarité d’humaine confinés, et Netflix n’a sans doute pas fini de surfer sur la tendance.

Le mythe du grand champion, bien sûr, a toujours fait rêver, et sa mise en scène médiatique y est pour beaucoup. Qui, enfant, n’a jamais fantasmé d’être Maradona et de pousser en vieux roublard un ballon de la main au fond des filets anglais ? Ou Zizou, un soir de juillet 1998, après un doublé d’anthologie ? C’est parce qu’ils ont été filmés par les caméras du monde entier que tous deux sont devenus des dieux vivants : dans la religion du sport, ce sont les écrans, petits ou grands, qui permettent la canonisation. Dans les années 1960 déjà, William Klein filme Mohamed Ali dans Muhammad Ali, the Greatest. Celui qui « vole comme un papillon, pique comme une abeille », y apparaît sûr de lui. Libre, insaisissable, il se moque de la presse en même temps qu’il clame haut et fort ses convictions politiques. Et il triomphe. Ce n’est alors plus un simple boxeur qu’on aperçoit, mais un être d’exception. Un peu moins de trente ans plus tard, Leon Gast et son oscarisé When We Were Kings (1996) troublera notre vision de manière similaire, à travers un documentaire oscarisé, qui se concentre sur le « combat du siècle » opposant Ali et George Foreman à Kinshasa (un duel remis en scène dans la fiction par Michael Mann dans Ali, en 2002). C’est également un film documentaire qui a contribué à iconiser Zinedine Zidane : dans Zidane, un portrait du XXIème  siècle (2006), les réalisateurs Douglas Gordon et Philippe Parreno filment le numéro 10 madrilène durant 90 minutes à l’aide de dix-sept caméras. Tous ses gestes sont scrutés, capturés, comme si chacun d’eux était un spectacle à part entière. On regarde le footballeur courir sur la pelouse du Santiago-Bernabéu, à la manière dont on observait à Versailles le Roi-Soleil se lever.

« la glorification du champion est devenue une composante active de la société du spectacle »

Avec l’émergence du storytelling comme méthode de communication dans les années 1990 (voir à ce sujet le livre de Christian Salmon, Storytelling, paru aux éditions La Découverte en 2007), la glorification du champion est devenue une composante active de la société du spectacle. Le culte de l’athlète n’aurait plus, comme chez Leni Riefenstahl et son film Les Dieux du stade (1938) à la gloire de la race aryenne, de vues ouvertement propagandistes. Mais, à l’instar de la starisation des acteurs hollywoodiens, il prendrait pleinement sa place dans l’ordre des récits collectifs visant à désigner des idoles fédératrices au sein de l’économie globale du divertissement. Abnégation, courage, droiture… Il est éloquent de voir que la plupart des documentaires sportifs, sur Netflix ou ailleurs, alimentent le fantasme de l’homme parti de rien, arrivé au sommet par la force de sa volonté : une incarnation de la réussite individuelle chère au modèle capitaliste. Comme dans Diego Maradona, film sorti au cinéma en 2019, Pelé évoque la précarité à laquelle a dû faire face l’aspirant footballeur pour parvenir à ses fins. Et même quand les origines ne sont pas modestes, le chemin est toujours escarpé. Griezmann (Antoine Griezmann : Champion Du Monde, 2019), trop frêle, était refusé par tous les centres de formation français. Andres Iniesta (Andres Iniesta : the Unexpected Hero, 2020), isolé lors des entraînements, déprimait alors qu’il était enfant.

Quand ces documentaires ne racontent pas l’ascension d’un outsider, le storytelling s’oriente vers la mise en scène d’une reconquête. Considéré comme un joueur en fin de course avant le début du mondial de 1970, Pelé répond en soulevant le trophée. Tony Parker (Tony Parker: The Final Shot, 2021), quant à lui, se blesse au tendon du quadriceps en 2017. Plusieurs pensent qu’il ne pourra plus jamais jouer : il revient sur les terrains seulement sept mois plus tard. Nouvelle star ou champion sur le retour, la morale est la même : celle d’une revanche sur la vie. Le synopsis sur Netflix du film d’Alex Dell sur Antoine Griezmann résume parfaitement la recette : « De jeune joueur sous-estimé au titre de champion du monde, ce héros du foot français a travaillé dur pour en arriver là. »

Travailler dur pour accomplir son destin (et gagner des sommes folles au passage) : la formule est calibrée pour vendre du rêve au plus grand nombre. Ce qui n’empêche pas certains documentaires d’être plus nuancés que d’autres : en s’attardant sur la posture attentiste du footballeur vis-à-vis de la dictature brésilienne, Pelé parvient par exemple à ne pas être qu’un lisse panégyrique. Pour fidéliser son public de supporters, Netflix joue également la carte de la sérialisation : après avoir remis le fait divers au goût du jour en lui appliquant une narration sérielle (Making a Murderer, Grégory…), la plateforme en fait de même avec le sport dans Juventus FC (2018), Boca Juniors Confidential (2018), Sunderland : Envers et contre tous (2018), Formula 1 : Pilotes de leur destin (2019), Cheer (2020), ou encore The Last dance (2020). Et si le dispositif, également adopté par son concurrent Amazon Prime avec notamment All or Nothing: Manchester City (2018), contribue à l’idée de sport-spectacle, il permet aussi de substituer au culte d’un champion l’étude plus approfondie d’un groupe de joueurs. La narration est toujours celle de l’épopée, mais l’immersion sur la longueur dans les coulisses des exploits offre au spectateur une matière humaine plus dense et un sens de la communauté. Dans The Last Dance, formidable réussite du genre, la trajectoire de Michael Jordan est ainsi indissociable de celle des Bulls de Chicago durant la saison 1997-1998. Redoutablement scénarisé jusqu’au climax de la finale NBA, la série montre les interactions du numéro 23 avec ses camarades Dennis Rodman ou Scottie Pippen. « On était une équipe merdique : on est devenus l’une des plus grandes dynasties », souffle à la fin Michael Jordan. La réussite reste la valeur ultime, mais au moins cette fois elle est collective.

Pelé, disponible sur Netflix.

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