Michel et Gérard en peignoir

Le nouveau film de Guillaume Nicloux envoi Michel Houellebecq
et Gérard Depardieu en thalassothérapie.
Entre documentaire et polar, bains de boue et grands crus. Présentation.

 Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 5 min.

Thalasso

Bande Annonce

Dans L’enlèvement de Michel Houellebecq (2013), Guillaume Nicloux imaginait que l’écrivain le plus discuté de France soit pris en otage par une bande de Pieds Nickelés sans doute au service d’un François Hollande qui voudrait stopper ses ambitions politiques. Du face à face entre un Houellebecq en roue libre et des malfrats tantôt vraiment stupides, tantôt plein de bon sens, naissait des dialogues truculents et souvent féconds. Le réalisateur hors norme (La Clef, La religieuse…) …) imagine aujourd’hui une suite à son téléfilm, cette fois diffusée sur grand écran.

L’écrivain misanthrope est envoyé en cure de Thalasso dans un hôtel de Cabourg par sa jeune épouse. Entre deux séances de cryothérapie, l’écrivain se plaint amèrement de ne pouvoir ni boire, ni fumer. Jusqu’à ce qu’il se lie avec un habitué des lieux qui dispose dans sa chambre d’une réserve de grands crus et de charcuterie… Ce patient compatissant se révèle être Gérard Depardieu déjà à l’affiche des trois derniers films de Nicloux : Valley of love, The End, Les confins du monde. Ils se lancent dans un dialogue à bâton rompu surréaliste. Et ce n’est pas ici Houellebecq le plus intéressant des deux

Mais Depardieu se dénude
au propre comme au figuré

Les divagations de l’écrivain n’apportent pas grand chose de nouveau par rapport au film précédent. À part lorsqu’il évoque ses convictions catholique, qui ne sont pas, à notre avis, les idées les plus intéressantes qu’il développe. Mais Depardieu, lui, se dénude au propre comme au figuré et se révèle plus sympathique et inattendu qu’on ne l’aurait imaginé. Il faut dire que pour lui ce dispositif d’autofiction est plus nouveau. Quant aux malfrats qu’on voit ressurgir dans la seconde partie du film, ils ne servent pas à grand-chose, comme une piste déjà explorée qui peine à se renouveler. La production a mis à notre disposition une interview croisée de Michel Houellebecq et Gérard Depardieu qui donne le ton du film et dont voici un extrait.

Michel Houellebecq : (…) pour moi, Gérard Depardieu est une grande consolation dans la vie. Parce que quand je fais un truc qui va pas, je me dis de toute façon « oh, Depardieu a fait pire ». Donc en fait, tant qu’il y a Depardieu, ça va, je peux dire des conneries. C’est une présence rassurante.

Guillaume Nicloux : Michel, comment as-tu réagi quand je t’ai dit que tu jouerais avec Gérard dans le film ?

Michel Houellebecq : Moi, j’étais content. Je me suis dit que c’était le sommet de ma carrière cinématographique.

Guillaume Nicloux : Il n’y a pas au-dessus de Gérard, pour toi ?

Michel Houellebecq : Non, non. Je peux mourir après. Enfin, mourir… Ne plus faire de films, c’est pas grave.

Gérard Depardieu : Non, dis pas ça.

Michel Houellebecq : Non, pas mourir, parce que faut que j’écrive un autre livre, mais c’est le sommet de ma carrière cinématographique là. Ce qui me plaisait dans ce film, c’est la donnée de départ ; qu’on se retrouve tous les deux en thalasso. C’est quand même assez improbable. Et en fait, non, Gérard va vraiment en thalasso.

Gérard Depardieu : Oui.

Michel Houellebecq : Mais c’est pas l’image que t’as.

Guillaume Nicloux : Mais il le dit ! Il le dit au début du film, il aime beaucoup les thalassos. Dans le film, il y a des repères qui font qu’on a l’impression que vous ne jouez pas, ou que vous dites ce que vous pensez.

Michel Houellebecq : Tu sais en général, quand je raconte un truc, je ne sais pas si c’est vrai ou pas. Si je racontais que des trucs vrais … Ça serait complètement emmerdant, je n’ai pas une vie si intéressante que ça.

Guillaume Nicloux : Mais quand même, tu abordes des sujets qui te tiennent à cœur ! La politique, le fait que tu veuilles te présenter aux élections….

Michel Houellebecq : Mais ça, c’est ton obsession. À un moment donné, tu voulais que je me présente aux élections. Donc, comme je suis gentil, je vais dans ton délire. Mais je sais bien que je n’ai aucune chance aux élections.

Guillaume Nicloux : Gérard ! Lorsqu’il te parle de ça, d’éventuellement se présenter aux élections, tu serais prêt à voter pour Michel s’il se présentait ?

Gérard Depardieu : Bah, je vote pas, mais bien entendu que ce serait une très belle… d’autant plus que son discours est très intelligent. La démonstration est faite dans ce film. Je pense que j’ai davantage confiance en Michel que dans tous ces politiques qu’on voit.

Michel Houellebecq : Non, ce qui est un peu embarrassant pour moi, c’est ce que je dis au début qui est tiré du film précédent. Je le pense vraiment.

Guillaume Nicloux : Mais ça, c’est pas embarrassant !

Michel Houellebecq : Si. Parce que dire qu’on n’est pas en démocratie, c’est embarrassant.

Guillaume Nicloux : Et qu’est-ce que tu gardes, si t’y repenses, à la scène que t’as préférée avec Gérard ? Où tu te dis « ah, je suis content de l’avoir tournée, cette scène avec Gérard » ?

Michel Houellebecq : Je dirais que, parce que je l’avais souvent senti, mais je l’avais jamais dit, c’est que s’il y a pas résurrection des corps, la religion, c’est rien, quoi. Là, je l’ai vraiment dit, j’étais content de le dire.

Guillaume Nicloux : Et de le dire à Gérard en particulier ?

Michel Houellebecq : Et de le dire à Gérard, oui. Parce que lui, je vois bien qu’ il arrive pas à y croire à ça.

Gérard Depardieu : Je pense beaucoup à ce que tu me dis et je n’arrive pas à croire, je sais pas, ça… Ça bug. Tu dis que la résurrection des corps, que… on va ressusciter.

Michel Houellebecq : Oui. Corporellement.

Gérard Depardieu : Non, mais peut-être que là, la révélation peut venir, mais je ne sais pas. Je n’arrive pas. Et pourtant, j’ai cherché à comprendre ce que tu disais, car en général, tu ne dis pas de bêtises, et il y a aucun mensonge dans ta littérature, il y a toujours quelque chose qui est possible. Mais là, il faudrait que tu développes dans un livre…

Michel Houellebecq : Oui.

Gérard Depardieu : Dans l’amour, on peut comprendre qu’on peut ressusciter un amour. Oui, mais c’est un sentiment. Mais un corps, une chair, une puanteur, une odeur, une connerie, une intelligence, un regard, une vision, niet !

Michel Houellebecq : Non, mais je suis content parce que, te convaincre, peut-être pas, mais je te fais hésiter, il y a pas de doute, je te fais hésiter.

Guillaume Nicloux : Est-ce que toi, c’est la scène que tu retiens aussi, Gérard, celle-là ?

Gérard Depardieu : Non, ce que j’aimais beaucoup c’est les valises. J’aime bien quand il fouille dans une valise. J’ai aimé la composition artistique de cette installation. Parce que c’est aussi fou que la réalité.

Michel Houellebecq : Moi aussi, j’ai bien aimé tous les trucs dans les sous-sols. Et il faut reconnaître, que couvert de boue verte, on est drôle (…).

 

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