New York 1997

On n’échappe pas à John Carpenter

Cult. Ressortie, dans une magnifique copie restaurée en 4K, du chef d’œuvre de John Carpenter.

Temps de lecture 5min

Par Philippe Guedj

Une nappe de synthétiseurs Prophet 5 s’éveille sur un écran noir. Une lente marche mélancolique l’accompagne, au rythme d’une pulsation typique des mélodies de John Carpenter. Puis le titre, magique : Escape From New York (New York 1997 en nos contrées). Et ce court état des lieux, en voix off, par Jamie Lee Curtis (non créditée au générique) : dans une Amérique dystopique où le taux de criminalité a bondi de plus de 400%, l’île de Manhattan est devenu une prison à ciel ouvert, coupée du continent par un mur de 15 mètres  sous haute surveillance. A l’intérieur, les pires criminels du pays et le monde qu’ils ont créé. « Le règlement est simple : une fois qu’on y est entré, on n’en ressort plus » conclut l’exposé.

“Ecrit en 1974, en pleine crise du Watergate, New York 1997 porte enfin en lui tout le nihilisme et le pessimisme institutionnel du réalisateur”

Snake Plissken , l’antihéros que la science fiction attendait
C’est en 1981 qu’on découvre l’antihéros Snake Plissken dans ce classique instantané de la série B, au carrefour du film d’action, de la SF et du western. Une perle qui, malgré ses imperfections et l’épreuve du temps, a marqué les mémoires pour un faisceau de raisons. Des arguments qui justifient amplement sa ressortie en salle, ce mercredi 19 décembre par le distributeur Splendor, dans une flamboyante copie restaurée en 4K par Studio Canal. Grosse pierre jetée dans la mare d’une SF squattée alors par les space opera façon Star Wars, New York 1997 aura une influence multiple sur le cinéma, les jeux vidéo et les comics. Incarné par un Kurt Russell cherchant désespérément à foutre aux orties sa casserole d’ex-gamin star de niaiseries Disney. Snake Plissken va lui-même s’imposer comme l’une des figures les plus inoubliables de la pop culture des années 80. Le personnage, borgne comme John Ford ou John Wayne dans 100 dollars pour un shérif, débute le film les fers aux poignets. Ex-héros de guerre tourné braqueur, Snake s’est fait pincer. Le chef de la police Bob Hauk (Lee Van Cleef acteur fétiche de Sergio Leone) lui offre une chance d’échapper à la chaise électrique. A une condition : sauver le président des Etats-Unis dont l’avion piraté s’est crashé en plein Manhattan. Oui, chez les dingues. Le dirigeant est sain et sauf mais aux mains de racailles, qui le retiennent en otage. “J’en ai rien à foutre de votre président” martèle Snake, qui va quand même devoir s’y coller, s’il veut voir désactivées à temps les deux minis charges explosives logées à son insu dans ses artères carotides par Hauk. Il reste moins de 24h à Plissken pour agir : au-delà, le président aura manqué un sommet capital pour la survie du monde. Et le forçat bouffera les pissenlits par la racine.

Cinquième long métrage de Carpenter, New York 1997, produit pour cinq millions de dollars, fascine aujourd’hui non seulement par son ambition visuelle – malgré ses tout petits moyens – mais aussi par sa résonance avec son époque et la puissance visionnaire de son univers. Volontairement ou non, Carpenter co-signe, avec Nick Castle un scénario reflétant pleinement les angoisses de cette Amérique de l’aube reaganienne. Avec son cauchemar d’une criminalité exponentielle, le film touche un nerf en cette année 1981 record pour le nombre de crimes recensés à New York. Il est d’ailleurs savoureux de revoir ce Manhattan où l’on parque les laissés pour compte aujourd’hui alors que l’île est au contraire devenu un bastion ultra-sécurisé pour méga-riches dans lequel les gens ordinaire n’ont plus rien à faire, sorte de New York 1997 à l’envers. Avco Embassy, le studio indépendant produisant le film, souhaitait d’ailleurs voir (parmi d’autres candidats, dont Chuck Norris et Tommy Lee Jones) Charles Bronson interpréter Plissken, pour mieux surfer sur l’aura d’Un justicier dans la ville (1974). Un immense succès emblématique de cette peur de l’ultra-violence dans les grandes métropoles américaines des seventies.

La science-fiction augmentée par la réalité
La thématique d’un président séquestré par une bande incontrôlable entre aussi en résonance avec la crise des otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran, débutée avec l’arrivée au pouvoir de l’ayatollah Khomeini en 1979 et toujours en cours lors du tournage (elle prendra fin juste après l’entrée en fonction du nouveau président Reagan, en janvier 1981). Ce contexte international crispé nourrissant l’impact anxiogène du film se double d’un regain de tensions entre les blocs Est et Ouest, qui alignent depuis 1979 de nouvelles batteries de missiles nucléaires le long de leurs frontières. Dans New York 1997, la 3e guerre mondiale a eu lieu et les plans saisissants de Manhattan en ruine laissent augurer d’un sinistre avenir redouté par les foules. Très vite, cette puissance iconique, sublimée par l’incroyable photo nocturne de Dean Cundey, va susciter une brochette de plagiats transalpins. Les nanars des Guerriers du Bronx (1982), 2019 après la chute de New York (1983) ou encore Le Gladiateur du futur (1983). Plus près de nous, le réalisateur Neil Marshall a reconnu l’influence de New York 1997sur sa sympathique dystopie Doomsday (2008). Une attitude plus fairplay que celle de Luc Besson, producteur du médiocre Lockout (2012), à l’intrigue si voisine d’Escape from New York que John Carpenter a intenté (et gagné) en procès pour plagiat à Europa Corp.

Snake Plissken, avatar post-apocalyptique d’un Dirty Harry et des flingueurs campés chez Leone par Eastwood (dont Russell singe volontairement la voix), imposera à lui tout seul un look de comic book à l’implacable pouvoir de fascination (y compris chez des générations de cosplayers). Trois comics poursuivront les aventures de Plissken version papier, dont The adventures of Snake Plissken chez Marvel en 1997. Créateur du mythique jeu vidéo MetalGear Solid en 1998, Hideo Kojima nie avoir pompé son héros borgne Solid Snake sur l’icône de Carpenter mais difficile d’ignorer les troublantes similitudes.

Sans oublier non plus l’influence déterminante de la partition électronique , source d’inspiration, comme d’autres B.O de Carpenter, pour toute la French Touch mais aussi pour des artistes tels que Carpenter Brut, Dance with the dead, VHS Dreams où, à l’évidence, les compositeurs de la série Stranger Things (qui n’a pas piquée que ça à Carpenter). Ecrit en 1974, en pleine crise du Watergate, New York 1997 porte enfin en lui tout le nihilisme et le pessimisme institutionnel du réalisateur, pour qui l’Amérique du futur serait forcément un Etat policier dirigé par un imbécile pleutre et vaniteux. Plutôt visionnaire. En 1996, dans la suite intitulée Los Angeles 2013, « Big John » ira même encore plus loin en imaginant un président des Etats-Unis authentiquement fasciste dans un pays qui a sombré dans l’intégrisme religieux. Visionnaire encore ? Un virage à gauche très net du cinéaste, loin des préoccupations sécuritaires de New York 1997. Dans Los Angeles 2013, sa sympathie va sans ambiguïté aux reclus parqués dans la cité des anges, oasis de libertés dans une Amérique mise en coupe réglée par l’ultra-droite. Un repositionnement politique qui commence avec son film Invasion Los Angeles (1988 qui ressort lui aussi en version restaurée le 2 janvier. Brûlot SF dont le héros SDF, John Nada, butte des aliens capitalistes. Les deux mandats de Ronald Reagan et leur libéralisme échevelé nourrissent la colère du cinéaste. A l’heure de celle des “gilets jaunes”, Invasion L.A prend d’ailleurs une nouvelle dimension… mais ceci est une autre histoire !

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