Nobody’s is watching

Lost in Translation

Film. Dans Nobody’s Watching, un acteur argentin est perdu dans New York. Sa réalisatrice nous raconte un film sensible et drôle sur les différences culturelles et ces anglo-saxons qui ne vous regardent jamais dans les yeux.

Temps de lecture 5min

Par Jacques Braunstein

Nico est un acteur de telenovela argentin venu à New York pour jouer dans un film, et surtout, pour fuir une situation sentimentale insoluble. Il était l’amant du producteur de la série, par ailleurs marié. Mais le film a du mal à se faire et son amant le relance. Du coup Nico (Guillermo Pfening) vivote en babysittant le fils d’une vieille amie et passe, sans grand succès, des castings.

Nico vit dans le simulacre, le faire semblant, cette image idéalisée qui est un piège qui nous enferme en nous-même

Dans cette ville superbement filmée qu’il arpente à vélo et à pied, il sombre peu à peu dans la dépression. Car « personne ne le regarde » : « Nobody’swatching », d’où le titre du film. « Mon film propose différentes lectures de cette même idée » nous explique depuis New York la réalisatrice Julia Solomonoff :

« Il est question d’un relation clandestine qui doit donc rester loin des regards. De la recherche de l’anonymat d’un acteur connu pour un programme dont il a un peu honte. Mais qui, quand un de ses partenaires débarque à Brooklyn, est jaloux que les latinos le reconnaissent dans la rue. Même lorsque Nico vole dans un magasin face aux caméras de surveillance, il aimerait qu’il y ait quelqu’un de l’autre côté qui le voit. Il veut qu’on l’enregistre, qu’on le remarque, qu’on le reconnaisse. »

La réalisatrice a préféré que l’interview se déroule par Skype que par téléphone. « À New York, on ne se regarde pas dans les yeux, ça ne se fait pas. On ne se touche pas et ça me manque. » Avoue-t-elle. Curieusement dès lors qu’il est question d’interaction, elle, qui nous parlait en anglais, préfère passer au français. « La culture méditerranéenne qu’on retrouve en Amérique du Sud est différente de la culture puritaine anglo-saxonne, même si ce sont deux cultures occidentales. New York est pleine d’immigrants du monde entier, mais la culture dominante demeure la culture puritaine bien plus individualiste. »

Après des études à New York, Julia Solomonoff est rentrée en Argentine au moment de la crise économique du début des années 2000. « C’était important d’être dans mon pays à ce moment là. Puis en 2009 je suis retournée aux Etats-Unis, comme prof et plus comme étudiante, comme mère et plus comme nounou… J’ai pu ré-envisager mon expérience depuis une nouvelle perspective. »

Forte de cette double approche, elle affirme : « Pour moi l’identité est plus liée à la langue qu’aux gènes. Alors que pour les américains l’identité se déduit de vos origines, de votre orientation sexuelle… » Avant d’enchaîner par un exemple : « lorsque Nico est au parc avec le bébé, il discute avec les baby-sitters colombiennes qui le trouvent étrange avec ses cheveux blonds. Il n’a pas la bonne race pour les gens avec qui il peut parler, et pas la bonne langue pour les gens avec qui il devrait échanger pour faire son métier. »

Dans le film, Nico passe sont temps à changer, à changer d’appartement, à changer de couleur de cheveux, comme pour devenir sa propre photo de profil… « Je ne voulais pas trop utiliser les médias sociaux, mais Nico en est très dépendant… Il vit dans le simulacre, le faire semblant, cette image idéalisée qui est un piège qui nous enferme en nous-même. » En conclusion, Julia Solomonoff note que la vie de son film a un peu été la même que celle de son personnage principal. « Quand je cherchais des financements on nous demandait si c’était une comédie ou un drame, un film latino ou américain, en anglais ou en espagnol, gay ou pas. Et moi, je voulais créer quelque chose d’un peu plus complexe. Il me semble que c’est ce qui fait la richesse du film. Le futur du cinéma est dans l’hybridation. »

VOIR AUSSI