Monos, Very good trip

Avec Monos, le jeune réalisateur brésilien Alejandro Landes
nous embarque dans un voyage au coeur d’une forêt colombienne
peuplée d’apparitions cinéphiles.
Un film en état de transe.

Par Michael Patin

Temps de lecture 5 min

Monos

Bande Annonce

D’abord nous faire perdre nos repères. Un camp à flanc de haute montagne, au-dessus des nuages, isolé du monde. Huit adolescents-soldats nommés Schtroumpf, Rambo ou Bigfoot. Une mystérieuse Organisation représentée par un nain musculeux. Une vache à lait considérée comme un précieux trésor. Une otage américaine traitée comme un animal familier. Dès ses prémices, Monos du Colombo-brésilien Alejandro Landes prend la voie du film-trip. Les lumières naturelles éblouissantes, la vivacité fiévreuse de la caméra, l’onirisme de la musique (signée Mica Levi, entendue sur Under The Skin et Jackie), les visages et la présence si singuliers des jeunes acteurs, tout participe d’un impact purement sensoriel, qui ne laisse pas de place, ni de temps, aux corrections de notre regard. Sans rien comprendre des enjeux, on habite avec eux cette interzone, on participe à leurs rituels, on entre en communion avec leurs pulsions de vie et de mort. Et puis on attend cet orage qui gronde, insidieusement.

Soudain le film bascule. Pris sous le feu d’un ennemi indistinct, les gamins s’enfoncent dans la jungle avec leur otage. Le contact est rompu avec l’Organisation, et les liens fragiles se disloquent, laissant les lois de la survie redistribuer les rôles. C’est le moment où le rêve pénétrant devient cauchemar, et où les métaphores se mettent à suinter de nos paysages mentaux, en même temps que les références de Landes – Apocalypse Now, Apocalypto, Aguirre, Au Coeur des ténèbres, Sa Majesté des mouches. On reprend conscience d’être devant un film, et le film se met à nous dire des choses. Beaucoup de choses. Sur la société colombienne prise en étau entre narcos, paramilitaires et guérilleros. Sur sa jeunesse élevée dans le culte de la violence. Sur la jeunesse qui est violence. Sur le patriarcat. Sur le genre.

Le politique ne s’y glisse qu’en creux
entre les bornes de la fable

Le film n’arrête pas pour autant de produire de la fascination, avec ses scènes virtuoses découpées dans la moiteur végétale – dont une ahurissante descente de rapides. Le politique ne s’y glisse qu’en creux, entre les bornes de la fable, mais on aurait préféré ne pas y penser pour une fois, ne plus penser du tout, et continuer à suivre naïvement ce fleuve sensoriel vers l’enfer, sans résistance. Le seul défaut de Monos est sans doute d’être un peu trop conscient de lui-même, des modèles qui le nourrissent, de son programme d’expansion du vertige. Le dernier regard-caméra, jeté par Rambo depuis un hélicoptère, évoque le souvenir de Requiem pour un massacre. C’est dire l’ambition d’Alejandro Landes, dont on attend déjà avec impatience le prochain trip.

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