Millenium : Ce qui ne me tue pas

Le syndrome de Stockholm

Film. La première adaptation de la nouvelle trilogie Millénium se révèle une caricature du cinéma nordique. Démonstration.

Temps de lecture 4min

Par Théo Ribeton

Si Stieg Larsson avait su quel chahut on ferait de son œuvre à la suite de son décès, sans doute aurait-il tâché de mieux préparer la façon dont elle allait lui survivre. Seulement voilà : au XXIe siècle, on ne sait toujours pas prévoir ni les best-sellers, ni les infarctus, et quand les deux frappent d’un seul coup au même endroit, une grosse pagaille s’en suit.

“ Une Suède si cliché que le Montmartre d’Amélie Poulain passerait, à côté, pour un sommet de naturalisme.

Synthétisons : en 2004, l’écrivain meurt en laissant derrière lui une trilogie polar, Millénium, centrée sur Lisbeth Salander, hackeuse et autiste Asperger à tendance justicière féministe. Publiés à titre posthume, les trois volumes rencontrent un succès foudroyant (80 millions de ventes à ce jour). La télévision suédoise commande une adaptation, elle-même si suivie que les deux derniers volets sont distribués au ciné, Noomi Rapace y tient le rôle principal.  En 2011 David Fincher lance, déjà, un remake en langue anglaise du premier épisode, en confiant la partition à Rooney Mara, qui reçoit l’oscar de la meilleure actrice. Quatre ans et 240 millions au box-office plus tard, il s’agit de prévenir le tarissement de la source : un nouvel auteur, David Lagercrantz est désigné en Suède pour reprendre les personnages de Larsson et écrire une nouvelle trilogie. Deux nouveaux tomes paraissent. Le troisième est prévu pour 2019.

Or nous voilà aujourd’hui arrivé au moment où la success story tourne vinaigre. Millenium : Ce qui ne me tue pas relate une course à l’échalote, où les services secrets suédois et américains ainsi qu’une organisation terroriste se disputer un programme de surveillance de masse que Salander est parvenue à pirater. C’est à triple titre un moment de bascule pour la saga. D’abord, parce que c’est la première adaptation d’un volet non écrit par Larsson. Ensuite, parce qu’on y découvre la troisième actrice : Claire Foy (vue dans The Crown et en ce moment en salles dans First Man). En à peine dix ans, seul Spiderman a autant changé de visage. Enfin et surtout, l’éruption de génie du polar d’où tout est parti semble définitivement sapée, pour laisser place à une sorte de gestion tranquille de patrimoine.

Ce qui frappe le plus, c’est à quel point le film du réalisateur uruguayen de film d’horreur Fede Alvarez (Evil Dead, 2013) n’est pas celui d’une intrigue mais d’un décor. Une Scandinavie policière de carte postale, aux airs de studio prêt à l’emploi pour thriller surgelé. Lofts anguleux, techno parades souterraines, ports industriels, épidémie de piercings et teintures platines à tous les étages. Sans oublier l’hégémonie brutaliste : pas une cabine téléphonique, pas un kiosque à journaux, pas une mangeoire à oiseaux n’échappe au style architectural du moment – un peu plus et les brosses à dents étaient en béton. Une Suède si cliché que le Montmartre d’Amélie Poulain  passerait, à côté, pour un sommet de naturalisme.

Or un tel embouteillage de poncifs locaux ne va pas, évidemment, sans ses stéréotypes comportementaux. Et là-dessus, Millenium ose un effet de manche dont on avait failli oublier l’existence : l’imitation en anglais de l’accent local. Car oui, Claire Foy singe l’accent suédois. On n’avait pas vu ça depuis les méchants « russes » du cinéma d’action des années 80, et leurs « r » roulés de farce et attrapes. C’est délirant mais aussi très pervers. Dans la version de Fincher, Rooney Mara zézayait. Ce tic de langage n’était pas du à sa nationalité réelle (elle est américaine) ou supposée, ni à ses lèvres ou sa langue percées, mais c’était une façon de marquer concrètement l’inadaptation sociale et communicationnelle de son personnage, qui parlait ainsi une langue qu’on pourrait qualifier de « crachée », brute, sans enrobage, à l’instar de sa façon de rendre la justice. Aujourd’hui, le grossier effet autochtone appliqué au parler de Claire Foy sert également de marqueur d’inadaptation. Il sert à singer une nationalité et à la désigner comme bizarre. Bref, le lookbook post punk, vire au delirium vaguement raciste.

VOIR AUSSI