Médecin de nuit, d’Elie Wajeman

Toxic Driver

Entre film noir classique et drame social réaliste, le nouveau film d’Elie Wajeman, Médecin de nuit, montre un Paris crépusculaire qui n’est pas sans rappeler le New York poisseux de Taxi Driver. Avec Vincent Macaigne à la place de De Niro.

Par Jacques Braunstein

15 juin 2021
Temps de lecture 5 min

Médecin de nuit

Bande-Annonce

–  « Vous avez fait beaucoup de prescriptions de Subutex ces derniers mois ? »

–  « Je suis souvent appelé par des usagers. »

–  « Vous voulez dire les toxicomanes (…) c’est une démarche politique ? »

–  « Bien sûr que c’est politique, soigner des gens dont personne ne s’occupe, c’est politique… »

Ça commence par un huis clos dans un bureau : Mikaël (Vincent Macaigne), médecin de nuit, est reçu par une fonctionnaire de la sécurité sociale pour un contrôle de ses prescriptions de produits de substitution à l’héroïne. Il se lance dans un plaidoyer sur une souffrance invisible dont il est le seul réceptacle. Le propos est fort, le ton assuré, et pourtant quelque chose sonne faux, son regard est fuyant… Un léger malaise, comme un avertissement sur la direction que va prendre le film. Le chevalier blanc des paumés de la nuit, le « saint des toxicos » comme il est surnommé dans la rue, va peu à peu se fissurer. Peut-être lui aussi est-il un peu trop accro à la nuit ? Embarqué dans ses trafics par son cousin pharmacien Dimitri (Pio Marmaï, remarquable en pousse au crime, cultivant une ambiguïté qu’on devinait tapie sous ses rôles de gentils), Mikaël accepte en réalité de faire des ordonnances de complaisance de Subutex. Mais pas de Fentanyle, une drogue de synthèse des dizaines de fois plus puissante que la morphine. Car Mikaël, s’il ne sait pas toujours dire non, a vraiment des principes. Sauf que ça arrangerait bien Dimitri qu’il s’assoit dessus. Sa femme, elle préférerait qu’il change de boulot et qu’il rentre à la maison. Elle lui laisse une nuit pour régler ses affaires et arrêter de faire le con.

« De toutes les références très assumées par Wajeman, la plus forte est sans doute scorsesienne »

Géographiquement, le film se déplie selon un arc de cercle dans l’est parisien, de la Place des Fêtes à celle d’Italie, parcourant une ville faite de métros aériens et de grands ensembles, de bars borgnes et de pavés mouillés. Il reprend le titre d’une série des années 80 (créée sur une idée de Bernard Kouchner), et l’on y retrouve les étapes d’une garde ordinaire : vieille dame souffrant d’hypertension, parents qui s’inquiètent du gros rhume de leur petit dernier, overdose dans une soirée des beaux quartiers, et surtout beaucoup de crises d’angoisse. Entre deux patients, un repas vite avalé dans un restaurant de nuit, un détour par une boîte où Dimitri fête son anniversaire et où Mikaël espère embrasser en cachette la belle Sofia, qui se trouve être la femme de son cousin (Sara Giraudeau, à contre-emploi mais convaincante en femme fatale qui oscille entre les deux hommes)… Mikaël sillonne ces boulevards inlassablement, au volant de son break Volvo, seul rappel de cette condition bourgeoise qu’on prête généralement aux médecins. Alors que les vitres montrent les néons délavés par la pluie, la chronique des petites misères nocturnes vire à la tragédie de la misère noire quand la mafia géorgienne – à laquelle son cousin doit de l’argent – vient s’en mêler. Et Macaigne, habité, tord son personnage de pierrot lunaire vers quelque chose d’à la fois christique et cogneur.

On avait remarqué Elie Wajeman avec son premier film Alyah, étonnante histoire d’un dealer issue de la modeste communauté juive du 19e arrondissement de Paris, déjà campé par Pio Marmaï. Pour se sortir de l’engrenage de violence dans lequel il était plongé, il choisissait d’immigrer en Israël. Le réalisateur avait enchaîné avec Les Anarchistes, polar en costume un peu trop didactique. Il revient aujourd’hui à ce Paris ni vraiment pauvre, ni vraiment riche, qu’il connaît bien, et à cette communauté juive loin des clichés qu’il sait filmer avec bienveillance. On pense aux films des frères Safdie, Good Time ou Uncut Gems. Mais l’énergie cocaïnée de leur caméra est ici remplacée par un regard ample et un peu lysergique, plus en rapport avec les drogues qui circulent dans le film. On reconnaît aussi L’Impasse de Brian De Palma, pour le côté tragique d’un homme qui veut échapper à son destin et que ses proches replongent dans ses travers. Mais de toutes les références très assumées par Wajeman, la plus forte est sans doute scorsesienne. Un peu d’After Hours pour l’action concentrée sur une seule nuit, et plus que tout Taxi Driver. Cette filiation new-yorkaise, parfaitement digérée, accouche d’une série noire éminemment parisienne. Coup de maître !

Médecin de nuit est en salle le 16 juin.

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