Mais vous êtes fous: Une affaire de famille

Film. Centré sur un couple ravagé par l’addiction de l’un d’eux,
le premier film d’Audrey Diwan est un thriller intime électrisant.
Rencontre avec la réalisatrice.

Par Jacques Braunstein

Temps de lecture 5 min.

Mais vous êtes fous

Bande Annonce

Le premier film d’Audrey Diwan s’attache à un couple, Céline Sallette et Pio Marmaï accusés d’avoir drogué leurs enfants. Une histoire effarante sur fond d’addiction à la cocaïne. Mais vous êtes fous est basé sur une histoire vraie comme nous le raconte la réalisatrice. « Cette histoire est venue à moi. On avait rendez-vous dans un parc avec une amie. Et elle m’a dit qu’une de ses copines qui n’allait pas bien allait nous rejoindre. Mais qu’elle n’aurait sans doute pas envie d’en parler. Et puis mon ami a dû partir et je me suis retrouvée avec cette femme que je ne connaissais pas. Là je comprends qu’elle a des enfants mais qu’elle ne les voie plus. Elle avait une vie normale, jusqu’à ce que sa fille fasse une convulsion et qu’elle découvre qu’elle souffre d’addiction. Tout le monde dans la famille est contaminé. Personne ne sait pourquoi. »

film simple et sobre,
qui ne ressemble guère
aux fictions biggers than life

Le plus étonnant c’est qu’Audrey Diwan avait vu un entrefilet dans la presse quelques jours plus tôt : « Un couple parisien drogue ses enfants » et cette histoire s’est mise à lui trotter dans la tête. « Sa sidération m’a marqué, mais aussi son envie de comprendre pourquoi son compagnon avait sombré dans la drogue. En filigrane, je sentais qu’elle l’aimait. J’ai demandé de ses nouvelles, même si on ne s’est pas recroisé. Et au moment de la résolution de l’affaire, j’ai eu envie d’écrire sur cette l’histoire puissante et romanesque. J’ai demandé à la revoir et elle m’a expliqué qu’elle n’accepterait que si on travaillait également avec son ex-conjoint. »

Un suspens intime
Mais vous êtes fous est un film simple et sobre, qui à priori ne ressemble guère aux fictions biggers than life sur lesquelles Audrey Diwan avait précédemment travaillée comme scénariste. La série Mafiosa avec Éric Rochant ou les films La French et HhHH de Cédric Jimenez.

Profond et psychologique il ne correspond pas non plus à l’image que l’on pourrait se faire de cette jeune femme pressée. Successivement journaliste branchée (Technikart, Glamour, Stylist), co-auteure du best-seller international How to be à Parisian, scénariste et aujourd’hui réalisatrice… « C’est une question de maturité, aujourd’hui, je cerne un peu mieux mes goûts, j’aime le cinéma de genre et le cinéma d’auteur. J’avais envie d’hybrider un peu les deux. Instiller le suspens dans le genre d’histoire intime qui m’intéresse… Comme savent le faire Kore-Eda ou Ken Loach. Des films qui s’appuient sur un récit social, développent une forme de sincérité, sans pour autant écarter le suspens. Moi, Daniel Blake, par exemple, est rythmé par le fait que le cœur du personnage risque de s’arrêter. »

L’originalité du film née également du contexte social dans lequel il se déroule. Il n’est pas question de la nuit, du showbiz ou de la pub, mais d’un couple de la classe moyenne supérieure qu’on imagine vivre dans le XVe arrondissement. Il est prothésiste, elle, cadre dans une entreprise pas très fun. Cela correspond aux nouveaux usages constatés par les addictologues. Mais vous êtes fous se révèle être un thriller intime qui se centre sur la question de la confiance. « Où on la place, est-ce qu’elle résiste ou pas… Au début, le personnage de Pio Marmaï a toujours peur d’être percé à jour. Après, c’est celui de Céline Sallette qui analyse tout. Il va dans la salle de bain et si l’eau coule, elle pense que ça cache quelque chose. On a beaucoup travaillé sur le double sens des phrases les plus simples… »

Ménage à trois avec la drogue
C’est ce qui fait la force du film, à la fois ténu et riche, dense et dépouillé… Extrêmement varié dans sa mise en scène sans pour autant jamais la ramener, mettre en avant sa virtuosité. « Avec Marcia Romano, ma co-scénariste, on a beaucoup fictionné. Ça nous a pris du temps de simplifier, de ne pas rester littéral. Par exemple nous avons laissé la désintoxication et les rechutes hors champ. Il y a déjà de grands films sur cela comme Oslo, 31 août. Quand nous essayions de faire coïncider trop de sujets, nous perdions le film. J’avais envie de faire de la drogue une maîtresse. Et de réinventer un triangle amoureux autour de ça. Ça créait des hauts et des bas, suffisamment de rebondissement. »

Notre dernière question porte sur le titre du film. Dont on comprend en quoi il résonne avec son récit. Même si l’on se demande ce que Benny B vient faire là-dedans. Audrey Diwan joue la transparence : « J’avais envie de trouver le bon morceau de rap pour le personnage. Une réminiscence de Rois et Reine d’Arnaud Desplechin. Mais ma culture rap n’est plus très étendue. J’ai demandé cinq titres à Gilles Lellouche qui est un ami. Les quatre premiers ne m’évoquaient rien. Mais en écoutant “Mais vous êtes fous” de Benny B, je me suis dis : quelle bonne idée d’exhumer un titre générationnel, de piocher dans nos souvenirs, d’assumer une part de kitch… 15 jours plus tard, je le dis à Gilles et il me répond : “Tu plaisantes, c’était une blague…” »

  • Pio Marmai
  • Audrey Diwan
  • Céline Sallette

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