Le dernier Nabab

Hollywood Memories

Cult. Portrait acerbe de l’Âge d’Or d’Hollywood, ultime film en forme de testament d’Elia Kazan ressort en salle en version restaurée. Un film de 1976 aussi démodé que passionnant.

Temps de lecture 5min

Par Paola Dicelli

Le Dernier Nabab n’est un chef d’œuvre ni de son réalisateur (Un Tramway Nommé Désir, ou Sur les quais était quand même mieux), ni de Robert de Niro, son acteur principal. L’histoire d’amour entre le producteur qu’il incarne et l’actrice — campée par Ingrid Boulting, au charisme de moule, qui s’est sagement reconvertie dans le yoga par la suite — est insipide. Mais le dernier film d’Elia Kazan est une plongée passionnante dans les contradictions d’Hollywood. D’un côté, le Nouvel Hollywood, incarné par De Niro, Jack Nicholson et les apparitions de Seymour Cassel ou Jeanne Moreau (figure de la Nouvelle Vague française). De l’autre, le cinéma classique, avec les grisonnants Robert Mitchum, Tony Curtis et Dana Andrews.

“un des rares réalisateurs classiques admiré par la nouvelle génération”

En 1976, Elia Kazan a 67 ans et ne fait plus partie des jeunes cinéastes en vogue. Son film précédent, l’Arrangement (1969) racontait d’ailleurs sa crise de la quarantaine. Pourtant il n’est jamais vraiment rentré totalement dans le moule, signant des films modernes pour leur époque. Il est un des rares réalisateurs classiques admiré par la nouvelle génération. Lorsqu’il planche sur Le Dernier Nabab, le roman de Francis Scott Fitzgerald inspiré par la vie d’Irvin Thalberg, grand producteur des années 30, il questionne le monde actuel comme celui qu’il a connu. Et contrairement à Wilder (Fedora) ou Minelli (Melinda), nostalgiques du passé dans leurs derniers films, Kazan parvient à la conclusion que ce n’était pas mieux avant.

Sous couvert de faire un film en costume qui ressuscite le Hollywood des années 30, le cinéaste insuffle à son récit des éléments propres au Nouvel Hollywood qui bouscule alors le cinéma américain en s’inspirant de la liberté du cinéma européen. Il choisit De Niro qui vient d’enchaîner le Parrain II, 1900 et Taxi Driver. Le long travelling sur le corps nu d’Ingrid Boulting, évoque celui sur Brigitte Bardot dans Le Mépris. Kazan se moque même gentiment des stars de l’âge d’or, en pointant les caprices de l’une, qui trouve ses cheveux trop bouclés (Jeanne Moreau). En faisant passer l’autre pour impuissant (Tony Curtis qui campe un avatar d’Errol Flynn).

Cette légitimation du cinéma des années 70, on la retrouve dans la confrontation entre les deux Robert, Mitchum et De Niro. Le premier est un dinosaure des studios, entouré d’autres vieux producteurs obsédés par l’influence communiste sur leurs scénaristes (Elia Kazan a lui-même activement participé à la « chasse aux sorcières » des années 50, ce qu’il a regretté ensuite). L’autre, un jeune nabab avant-gardiste, tient tête au système et se fiche du communisme. Métaphore de cette opposition : lorsque le studio subit un tremblement de terre, il est le seul à ne pas paniquer, allongé tranquillement dans son bureau. Malheureusement pour lui, la fin du film montre que le cinéma classique a finalement écrasé les véritables créateurs.

Martin Scorsese, un des leaders du Nouvel Hollywood, raconte plus ou moins la même histoire dans la comédie musicale New-York New-York, sorti la même année. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Jimmy (Robert de Niro encore) saxophoniste dont la modernité contraste avec son époque rencontre Francine chanteuse qui ne rêve que de rentrer dans le moule (Liza Minnelli, la fille de Judy Garland et Vincente Minnelli). Ils accoucheront d’un chef d’œuvre musical, « New-York, New-York » qui projettera Francine à Hollywood alors que Jimmy devra attendre son heure sur la côte Est — sans doute jusqu’aux années 60. Les deux films montrent comment la contre-culture puise ses racines dans un certain classicisme, tout en s’en affranchissant.

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