Le cinéma au temps du coronavirus

Face à la fermeture des salles de cinéma, Somewhere Else recentre sa ligne éditoriale sur l’offre dématérialisée. Séries, plateformes, replay, VOD… dans les semaines à venir, nous continuerons à sélectionner le meilleur dans la jungle des sorties. En espérant que le confinement nous donne encore plus envie de nous retrouver dans des salles de cinéma après la crise.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

Dans La Rose pourpre du Caire, Cecilia, une serveuse exploitée par son mari alcoolique, va au cinéma pour oublier son quotidien pourri, et un jour, le héros sort du film pour l’emmener avec lui de l’autre côté. La salle de cinéma comme antichambre d’un sortilège émancipateur : la crise de coronavirus nous a même privés de ça.

Confinés pour tenter d’étouffer la propagation d’une pandémie à laquelle des dizaines de films et de séries apocalyptiques nous ont continuellement préparés, nous n’avons plus le luxe de nous retrouver, entre inconnus, le regard tendus vers une même lumière, pour communier devant la reprise des Lèvres Rouges d’Harry Kümel, le nouveau Philippe Garrel ou le premier film de Zoé Wittock, réalisatrice prometteuse du formidable Jumbo. Tous ces films ont vu leur sortie annulée, reportée à une date indéterminée.

En attendant, la fenêtre d’évasion n’aura plus que les dimensions d’un écran de télé ou d’ordinateur, interconnecté avec tous les autres. On ne risque pas de manquer : l’offre déjà pléthorique de séries et de films sur plateformes, en replay et en VOD est décuplée depuis quelques jours par les gestes de certains fournisseurs (dont Canal+, qui a mis tous ses programmes en clair) et les bons plans échangés sur les réseaux sociaux (les gens se refilent des films et des séries via WeTransfer). Le CNC étudie même la possibilité de bouleverser la chronologie des médias pour mettre à disposition en VOD les films qui auraient dû sortir en salles. On pourrait passer tout son confinement à voyager dans des mondes parallèles, celui de Westworld, pas franchement moins anxiogène que le nôtre, ou celui, délicieux et perdu, de Voyage à deux, le classique de Stanley Donen qui vient d’être réédité.


Entre nos quatre murs, avec plus de choses à voir qu’il n’en faut pour une vie (jusqu’à ce que la saturation des serveurs nous prive aussi de ça), les sentiments sont schizophrènes. D’un côté le confort du cocooning, l’opportunité du temps qui ralentit enfin pour nous permettre de rattraper les films et les séries qu’on a manqués, le plaisir rassurant de l’immédiateté portée à son paroxysme… Et de l’autre la claustrophobie, l’isolement, le risque d’overdose, la frustration de ne pas pouvoir partager nos expériences de cinéma avec d’autres personnes, de préférence non-virtuelles. Paradoxalement, la vitalité et l’inventivité qui s’expriment depuis quelques jours sur les réseaux sociaux pour transformer cette épreuve en moment d’échange et de solidarité, notamment cinéphile, montre à quel point nous aspirons encore, plus que jamais, à la chaleur humaine et au contact réel avec les autres.

Qu’il s’agisse des séries, certes consommées le plus souvent à domicile, ou des films, que les nouveaux supports transforment aussi de plus en plus en expériences individuelles, nous avons besoin de sortir de chez nous et d’entrer en interaction pour apprécier pleinement les œuvres que nous avons vues. La déception des sériphiles à l’annulation du festival Séries Mania montre bien que cet impératif ne vaut pas que pour le cinéma. Le confinement que nous impose le coronavirus pousse les curseurs d’une tension qui est déjà celle de notre époque. Faut-il Netflix and chill ou aller revoir Docteur Folamour au Champo ?


Même si la réponse est évidemment les deux, le fait que nous n’ayons provisoirement plus le choix met en évidence la nécessité que l’alternative demeure. Et qu’à côté des espaces virtuels où, pour reprendre le slogan de notre site, le cinéma et les séries se rencontrent, il reste toujours une place à part pour la salle de cinéma.

Cette crise le prouve, nous avons plus que jamais besoin de récits collectifs. Heureusement que les sphères numériques sont là pour nous en fournir. Mais dans quelques semaines ou quelques mois, lorsque nous sortirons fourbus de nos appartements, nous aurons aussi plus que jamais besoin de lieux où les expérimenter ensemble, en chair et en os.

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