The Last Movie

Le Temps retrouvé

Cult. Le western malade et mythique de Dennis Hoper (Easy Rider) ressort enfin en version restaurée. The Last Movie (1971) désormais accessible, perd-t-il pour autant son aura de film maudit ?

Temps de lecture 4min

Par Théo Ribeton

On peut connaître Dennis Hopper pour différentes raisons : son rôle de photographe mystique dans Apocalypse Now, de psychopathe pervers dans Blue Velvet, ou pour son masterpiece en tant que réalisateur : Easy Rider (1969) et ses bikers hippies. Mais dans ce classement des causes de la notoriété du beau Dennis (disparu en 2010), The Last Movie, qui ressort cette semaine en version restaurée, tient une place paradoxale. C’est à la fois le moins célèbre et le plus mythique de ses films, celui que vous n’aurez aucune chance de trouver sur une plateforme de streaming, mais qui est justement l’incarnation de l’œuvre méconnue et introuvable.

“Un voyage entre ballade folk et trip d'acide”

Ceux qui l’ont vu avant aujourd’hui se rappellent, sans doute, du jour de leur trouvaille : au programme d’une après-midi à la Cinémathèque pour les plus anciens, sur le rayonnage d’un vidéo-club pirate pour la génération suivante, ou au détour d’une recherche P2P pour les plus jeunes. On se demande comment, aujourd’hui, ces cinéphiles endurcis encaisseront cette restauration 4K irréprochable. Tant elle semble décrocher le film de son époque et de sa légende. Rendant leur pleine santé aux couleurs baroques et criardes de Hopper – surtout dans sa partie centrale, avec ses sofas oranges sur murs turquoises, qui évoque plus le cinéma de studio de la fin de l’âge classique.

The Last Movie, réalisé juste après le carton inattendu d’Easy Rider, bénéficie d’un budget confortable et surtout Universal accorde à Hopper le final cut sur son film. Il s’attache au tournage d’un western fictif, filmé au Pérou dans les règles de l’art de l’époque (c’est-à-dire influencé par La trilogie du Dollar de Sergio Leone et La horde sauvage de Sam Peckinpah). Les ponchos sont boueux, les peaux transpirantes, le sang abondant et une humeur de trip folk-acid embaume certaines scènes. La population autochtone est entrainée dans des mises en scène auxquelles elle ne comprend pas tout. Ce qui fut plus ou moins une réalité, Hopper ayant usé de multiples traductions de l’anglais à l’espagnol puis au quechua. Les villageois se mettent alors à mélanger fiction et réalité, et à reproduire les scènes violentes entre eux (ça, c’est de la fiction).

Voilà pour la synthèse et elle peut s’avérer utile, puisque The Last Movie se présente sous des atours bien plus complexes. Le film se promène aux quatre coins de sa chronologie, au gré des souvenirs de tournage d’un acteur (interprété par Hopper) qui s’est entiché d’une prostituée locale et est resté sur place après le drame. Au cœur du film, une longue parenthèse voit ce personnage accompagner un riche industriel de cabaret en lupanar, l’occasion d’une étrange parabole mêlant libertinage et impérialisme. On retrouve ensuite dans une dernière partie le tournage et sa spirale morbide…

Cette structure dépenaillée, affranchie de toute linéarité est une sorte de montage hasardeux d’un carton de rushes du Nouvel Hollywood dont on retrouve tous les codes : violence graphique, indigénisme, rayons de soleil rasants, montage nauséeux et ballades folk entonnées par un Kris Kristofferson qui passait dans le coin. Hopper alors en période d’intense consommation de stupéfiants étant chauffé à blanc par Alejandro Jodorowsky (Réalisateur de El Topo et La montagne magique et scénariste de L’Incal…) qui le convainc de jeter à la poubelle une première version plus conventionnelle que personne ou presque n’a vu. Ce second montage vaudra au film son enterrement par le studio, qui refuse d’en tirer la moindre copie et condamne The Last Movie à la quasi-invisibilité. Mais il lui vaudra aussi son mythe : sorti dans un circuit minuscule aux frais de Hopper, il entre dans la légende comme « grand film malade » du cinéma indépendant seventies. Peter Biskind, dans son ouvrage de référence Le Nouvel Hollywood, imprimera cette légende en lettres d’or à coup d’anecdotes pimentées : drogue et alcool sur le plateau, spectatrice qui frappe Hopper au visage en sortant de la salle, etc.

La restauration 4K est un coup de polish épatant qui lui retire son apparence d’introuvable pépite pirate, de blockbuster cauchemar, de trésor secret et hanté. Tous ces labels qui faisaient écran à la vérité de The Last Movie. On découvre sa version jeune et vivante. Les films sont faits pour être vus, pas pour être fantasmés. Et même si une petite nostalgie nous prend, consolons-nous en pensant que Dennis Hopper aurait été tardivement mais merveilleusement soulagé qu’on puisse simplement découvrir son œuvre.

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