Lara Jenkins

Deuxième long métrage de l’allemand Jan-Ole Gerster est l’histoire glaciale
d’une femme glacée à qui l’on a gelé le cœur. Brrr.

Par Perrine Quennesson

Temps de lecture 5 min

Lara Jenkins

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Froid, le mot est bien faible pour qualifier le second film du cinéaste allemand Jan-Ole Gerster. Glacial, réfrigérant, choisissez, tous les synonymes sont bons pour qualifier Lara Jenkins. La première séquence donne le ton. Une femme se réveille, ouvre la fenêtre, pose une chaise devant et s’apprête à sauter, sauvée de justesse par le gong de la sonnette de son très sobre appartement berlinois. Quelle entrée en matière. Visiblement, ce n’est pas la forme pour Lara. Elle a 60 ans aujourd’hui et ce début de journée ne semble pas indiquer qu’il s’agisse d’un bon anniversaire.

A l’instar de son premier long métrage, Oh Boy, qui suivait les rencontres et les déambulations d’un jeune Berlinois un peu paumé, Lara Jenkins est aussi l’histoire d’un parcours. Sans réel point A, ni véritable point B si ce n’est la prise de conscience d’une frustration, de ses conséquences et du fait qu’elle n’aurait jamais dû exister. Si c’est l’anniversaire de Lara, c’est aussi la première représentation publique de la composition de son fils pianiste Viktor. Et l’entente n’est pas au beau fixe entre les deux. En réalité, Lara ne s’entend avec personne : globalement détestée par tous ceux qui la rencontrent et ne faisant pas ou (vraiment très) peu d’efforts pour être appréciée, elle passe sa journée à aller à la rencontre de ceux qui ont traversé sa vie, donnant à tour de bras des tickets de concert. Par bonté et fierté du travail de sa progéniture ? Pas vraiment. Peut-être pour se convaincre qu’elle n’est pas une si mauvaise mère, qu’elle aime ce fils à qui elle a appliqué une discipline de fer et distribué de l’amour au compte-gouttes.

Un discours poignant sur les potentiels non encouragés et la blessure qui en découle

Lara Jenkins déploie un récit très avare en informations qu’il dissémine tout au long de l’heure et demi sur laquelle il s’étend, à travers des cadres stricts et rigoristes. C’est au spectateur de faire l’effort de raccrocher les bouts de wagon qui lui sont livrés et d’interpréter l’impassible visage de son héroïne. Impeccablement jouée par une Corinna Harfouch s’avérant être une version teutonne et rigide (c’est peu dire) de notre Isabelle Huppert nationale. Lara est avant tout une femme en fin de parcours, une femme perdue par la colère, la frustration et la lassitude qui l’ont emportée. Ce parcours, cette déambulation dans Berlin, c’est son dernier tour de piste, sa dernière frontière avant la rupture. Un au revoir géant qui ressemble davantage à un immense doigt d’honneur calme et posé qu’à des adieux déchirants. Déchirant, c’est le final qui le sera car inattendu, arrivant comme une respiration que l’on a attendu tout le long.

Et c’est sûrement ça le problème de Lara Jenkins. Son austérité de tous les instants, aussi rigoureuse soit-elle, accentue la sensation de longueur d’une histoire qui prend déjà beaucoup son temps et beaucoup de détours. Cette bombe à retardement traîne un peu trop son mystère pour être totalement convaincante, au risque d’être un peu décevante au moment de l’explosion que l’on n’attendait plus. Reste un discours poignant sur les potentiels non encouragés et la blessure qui en découle, transformant la victime en futur bourreau aveugle. Que c’est glaçant une femme à qui l’on a dit qu’elle n’était pas assez.

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