La Femme à la fenêtre sur Netflix

La Femme à la fenêtre, clé en main

Joe Wright donne un certain charisme à la version filmée de La Femme à la fenêtre, le best-seller roué mais pachydermique d’A.J. Finn. À partir d’un scénario réchauffé, le talentueux réalisateur d’Anna Karénine sait monter une mayonnaise de références à peu près comestible, la petite touche perso en plus. On a goûté pour vous.

Par Caroline Veunac

Temps de lecture 5 min

La Femme à la fenêtre

Bande-Annonce

Comment transformer un livre pas terrible en film regardable ? Une question de style. Sorti en 2018, deux ans après le succès de La Fille du train, autre page turner au pitch et au titre éhontément similaires vite récupéré par Hollywood, le roman pas très bien écrit par l’Américain A.J. Finn, ceint d’un bandeau « adaptez-moi ! », fleurait bon l’opportunisme éditorial (au final, 2 millions d’exemplaires vendus). Du papier au ciné, c’était donc la mode des héroïnes fracassées par la perte de l’être cher (un ex adoré barré avec une autre, un mari et un enfant partis vivre plus tranquilles sous d’autres cieux), qui noient leur chagrin dans le gin bon marché et devront sortir des brumes pour élucider un meurtre. Et tout ça, c’était la faute à Gillian Flynn. Dans la foulée du succès de Gone Girl et de sa version « fincherisée », on avait redécouvert le livre précédent de la romancière américaine, Sharp Objects, paru en 2006, vertigineux portrait plus que noir d’une femme dépersonnalisée par son monstre de mère, scarifiée et errante dans les limbes de son alcoolisme, qui trouvait dans l’enquête policière une porte de sortie. Une sorte de désintoxication à la dure. Vu le succès de Gone Girl, la version écrans ne tarderait pas (une minisérie HBO, datée 2018, réalisée par Jean-Marc Vallée). C’était plié, tout le monde allait vouloir faire pareil, en moins bien.

Car pour égaler le désespoir stylée de Gillian Flynn dans son roman, l’impudeur de son autoportrait de femme détourné et fantasmatique, il fallait se lever tôt. L’écrivaine avait donné naissance à un genre d’héroïnes complexe et passionnant, des femmes trop promptes au sentiment de culpabilité, victimes dangereuses pour elles-mêmes et qui sait pour les autres, qui croient la menace venir de l’extérieur alors qu’elle est, peut-être, déjà dans la maison – dans leur corps, dans leur tête. Mais si Sharp Objects – puis Gone Girl – sont l’essence Guerlain de cette nouvelle vague de littérature féminine.iste (qui succède à la génération Mary Higgins Clark), La Fille du train et La Femme à la fenêtre en sont les contrefaçons un peu cheap, les succédanés industriels à la senteur fadasse. Sur le fond, les deux livres sont habités par quelque chose de crapoteux qui les rend potentiellement aussi intéressants que Sharp Objects. Mais la forme, formatée, ne suit pas, et la cruauté se dilue dans la littérature au mètre.

Les mauvais livres font-ils nécessairement de mauvais films ? Pas toujours, mais souvent. Dans la version ciné cata de La Fille du train, une Emily Blunt enlaidie au maquillage observe la vie des autres d’un œil torve et baveux, à travers la vitre de son train de banlieue devenu écran de cinéma, entre deux blackouts éthyliques. Marrant, à la rigueur. Dans La Femme à la fenêtre, condensé pas gêné de Fenêtre sur cour et Panic Room, c’est Amy Adams, agoraphobe au dernier degré et tout aussi bouffie, qui se cloître derrière le bow-window de son brownstone new-yorkais et ne sait plus très bien, le matin après avoir assisté (ou pas) à une violente dispute chez ses voisins d’en face, ce qu’elle a vu/bu. Disons-le tout de suite : le script (adapté par le pourtant bon Tracy Letts) est un peu imbécile et ne tient pas la distance (gros coup de barre passée les trois premiers quarts d’heure, puis propos incohérents). Mais, car il y a un mais, la différence, puisqu’il y en a une petite, c’est que Joe Wright n’est pas Tate Taylor. Quand le malhabile réalisateur de La Fille du Train redoublait d’effets grossiers et clichetonneux pour « suggérer » l’ivresse et la confusion, celui de La Femme à la fenêtre filme les comas et les éclairs de conscience de son héroïne en flamboyant ouvragier.

Relayé par son monteur Valerio Bonelli (déjà la manœuvre sur Les Heures Sombres), le réalisateur anglais, dans un travail comparable à celui de Jean-Marc Vallée dans la série Sharp Objects (avec Amy Adams, déjà, dont la présence dans les deux œuvres provoque une forme d’allitération), recrée dans la première demi-heure du film l’expérience physique et mentale de l’intoxication alcoolique, faite de désorientation spatio-temporelle, de séquençage brutal et désordonné du quotidien et d’incursions des pensées dans la réalité visuelle et sonore de la vie. Dans la lignée d’Anna Karénine, autre portrait de femme archi-mis en scène, Joe Wright enlumine son film par des éclats chromatiques et des trucs d’artificiers qui allument nos sens. Jusqu’ici tout va bien.

Ce premier mouvement, qui laisse entrevoir ce que le film aurait pu être, se termine en apothéose lors d’une scène d’hallu bouleversante, où Anna/Amy Adams, voyant une voiture sous la neige apparaître dans son salon, réalise soudain ce que nous, la regardant se débattre, avions compris depuis longtemps (on ne vous en dit pas plus). Après, il n’y aura plus grand-chose à voir. Une heure supplémentaire à regarder se démêler les fils d’une intrigue poussive censée parachever la rédemption d’Anna, c’est un peu long. On s’était déjà dit que Sharp Objects, plutôt qu’un format en huit épisodes, aurait fait un meilleur film. Peut-être La Femme à la fenêtre aurait-il fait un meilleur court-métrage.

La Femme à la fenêtre est actuellement disponible sur Netflix

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