I Comete, au festival de Rotterdam

Wiseman en août

Présenté au Festival international du film de Rotterdam dans la section Tiger Competition, consacrée aux cinéastes émergents et innovants, le premier long-métrage de l’acteur Pascal Tagnati propose une approche naturaliste du film estival. Quand le film de vacances se fait anthropologique.

Par Quentin Moyon

Temps de lecture 5 min

I Comete

Bande-Annonce

Au cœur d’un village corse, les enfants traînent dans la rue. Chantent. Ont une altercation avec un « ancien ». Le Tour de France est en cours… Pas de doute : les grandes vacances ont commencé. Dans cette courte mise en contexte humoristique qui évoque Tati, sorte de Jour de Fête rythmé par les complaintes des cigales et le patois local, I Comete nous raconte déjà son histoire. Les retrouvailles entre les expatriés partis à la ville et ceux qui persistent à rester au village entraînent le retour des habitudes de voisinage, des rituels festifs, des romances éphémères. Mais viennent aussi donner du grain à moudre aux querelles enterrées peu profondément dans ces paysages époustouflants.

Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Pascal Tagnati (vu devant la caméra de Lucie Borleteau et d’Antonin Peretjatko) emprunte avidement au genre du film de vacances. Un genre dont le père symbolique serait Éric Rohmer, dont l’héritage est perpétué et réinventé par des générations successives d’auteurs français et européens. Ainsi I Comete résonne-t-il avec d’autres films récents, et l’on y retrouve un peu des errances mélancoliques d’Eva en août de l’Espagnol Jonás Trueba, des amours passagers d’Été 85 de François Ozon, de la torpeur sensuelle de Call me by your name, de l’Italien Luca Guadagnino… Dans cette lignée de cinéastes qui tournent autour de la chaleur du soleil, Pascal Tagnati trouve sa trajectoire propre : I Comete ne donne ni dans le marivaudage néo-rohmérien d’un Guillaume Brac dans son dernier film À l’abordage, ni dans la furie formelle d’un Kechiche, mais plutôt dans une lenteur contemplative qui, tout près du documentaire, fait corps avec le paysage et la vie qui s’y déroule, et fait sienne le rythme de l’été.

« une sorte de cinéma vérité, à la fois naturaliste et atmosphérique »

Au-delà des échos avec d’autres films de la famille estivale, le film de Pascal  Tagnati se défie des codes de la fiction, en faveur d’un regard plus anthropologique, qui cherche à capter l’expérience de sa terre natale. La nécessité est ici de retranscrire des relations, des personnalités, des vérités que lui-même a pu vivre, sans aucune idéalisation du réel. Le réalisateur fait le choix du film choral, incarnés par des acteurs, mais la mise en scène, succession de plans fixes où se jouent les interactions sociales, sans mouvement d’appareil ni musique additionnelle, évoque plutôt la sobriété du travail du documentariste Frederick Wiseman. Aux marges de ce cadre très rigoureux, le film utilise le hors champ pour nous signifier que la caméra n’est qu’un regard parmi d’autres, et que la scène se poursuit au-delà des limites qu’elle impose. Le résultat : une sorte de cinéma vérité, à la fois naturaliste et atmosphérique.

La singularité du regard de Pascal Tagnati est qu’il est à la fois celui qui filme, le chercheur, et un fils de la société filmée, donc une partie de l’objet de la recherche. Le film est ainsi nourri de son amour pour l’île de sa naissance, déjà filmée dans ses courts-métrages antérieurs, tels que La Punta. Cette connaissance intime de son « terrain d’études » lui permet de brosser un portrait complexe de ce petit village, dans lequel se joue une véritable comédie humaine. Comme chez Balzac d’ailleurs, l’étude de mœurs passe ici par des scénettes de la vie privée qui illustrent tous les aspects de la vie en général, philosophiques ou sexuels (le film compte notamment une double scène de masturbation, féminine puis masculine), et de la corsitude en particulier, de la passion du foot aux rapports avec le continent. Le film ne fait d’ailleurs pas l’impasse sur la haine anti-Français, car être « citoyen corse et citoyen français, c’est pas pareil », comme le rappelait le cinéaste lui-même dans son court-métrage Monsieur Vergogna.

Des tendances et des hiérarchies se dessinent et les rapports de domination, d’amitié et d’inimitié nous sautent progressivement aux yeux. Dans ce dispositif, la part belle est laissée aux acteurs, ce qui n’étonne pas de la part de Pascal Tagnati, non seulement comédien lui-même mais aussi metteur en scène de théâtre. Jean-Christophe Folly (Jeune Femme, L’Angle Mort) et Cédric Appietto (Une Vie Violente) sont particulièrement à leur avantage, et finissent de donner de la chair à cette fresque sociale, lumineuse et acerbe, d’une communauté corse en 2020.

I Comete, au festival international de Rotterdam et prochainement en salles

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