Give Me Liberty – Interview

Le réalisateur russo-américain Kirill Mikhanovsky raconte la genèse
de son second long-métrage présenté à Sundance et à la
Quinzaine des Réalisateurs de Cannes.

Par Julien Lada

Temps de lecture 6 min.

Give Me Liberty

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Dans le flot des projections cannoises, on était passés à côté de l’excellent Give Me Liberty, seconde réalisation de Kirill Mikhanovsky. Primé à la Semaine de la Critique en 2006 avec Sonhos de Peixe, ce globe-trotter s’est plongé dans les expériences de sa jeunesse pour raconter l’histoire de Vic, jeune homme d’origine russe, conducteur d’un véhicule spécialisé dans le transport de personnes handicapées. Entre comédie burlesque américaine et drame social russe (ou l’inverse), le film nous entraîne dans les rues des quartiers pauvres de Milwaukee… Au fil d’une journée devenue incontrôlable, entre l’enterrement d’une babouchka, un concours de chant et des manifestations antiracistes. Give Me Liberty est à l’image de son réalisateur : débridé, trépidant, excessif, et surtout passionnant. Il ne manque d’ailleurs pas d’histoire au sujet de l’aventure tumultueuse de son film.

Kirill Mikhanovsky : « Ma vie est un film de Zemeckis »

Le cinéma indépendant américain montre souvent New-York, la Californie ou le Sud, mais pourquoi Milwaukee ?
C’est la ville dans laquelle j’ai vécu à mon arrivée aux États-Unis, et j’y étais retourné pour me ressourcer, retrouver mes repères. Là, j’ai vite compris que je voyais Milwaukee comme un vrai personnage… Et c’est pourquoi j’ai proposé à ma partenaire Alice Austen de faire un film sur mes souvenirs de l’époque où j’étais conducteur d’un véhicule pour handicapés. Il est né de notre volonté commune, elle a coécrit et produit le film en son nom propre. On s’est rencontrés à Milwaukee il y a six ans, au moment où un de mes projets s’est planté. À cette époque-là j’étais au fond du trou, aussi bien psychologiquement qui financièrement. Elle travaillait déjà à l’époque sur une première version du script et cherchait quelqu’un avec qui travailler dessus. Tout est parti de là.

Une sorte d’autofiction écrite à quatre mains ?
Ce film est né d’expériences purement personnelles, mais ce n’est en rien une autobiographie. Ce jeune chauffeur n’est pas mon alter-ego, et s’il l’était, alors on pourrait dire que tous les personnages du film sont mon alter ego.

Comment arrive-t-on à financer un film comme celui-ci, bilingue, au casting quasi exclusivement non-professionnel, avec de nombreux acteurs handicapés qui plus est…
On n’a trouvé aucun financement public aux États-Unis. Pitcher le film nous a pris deux ans et demi. C’est alors qu’on a trouvé un studio qui a accepté : A24, qui nous a dirigé vers un investisseur new-yorkais. Il a lu notre script et a dit que c’était ce qu’il avait vu de mieux depuis Moonlight. À peine deux mois plus tard, A24 triomphe aux Oscars avec le même Moonlight et devient le studio le plus couru du cinéma américain. En juin on n’avait plus aucune nouvelle du budget et du planning, et au mois d’octobre A24 nous a lâché. Pendant quatre ans, ça avait été comme le mythe de Sisyphe qui pousse son rocher en haut de la montagne. Et le rocher était retombé tout en bas de la montagne. Mais on a commencé à tourner quatre mois plus tard, avec seulement une toute petite partie du budget prévu.

Cette succession d’imprévus vous a-t-elle amené à changer certains de vos plans initiaux ?
On n’a sacrifié aucun des personnages ni aucun des lieux prévu dans l’intrigue. Le seul souci ça a été le temps, personne n’était prêt à un raccourcissement aussi drastique. On a tourné le film en 23 jours, avec toutes les contraintes que ça implique. Rien que pour faire monter ou descendre tout le monde dans le bus, ça prenait parfois une heure. Il fallait penser à leur confort, y compris dans les scènes où le bus roule à 110 km/h. Chris Galust (l’acteur principal) n’est ni acteur ni conducteur professionnel. J’avais prévu de passer deux mois avec lui à Milwaukee au départ, de le faire vivre avec l’acteur qui incarne son grand-père, de lui trouver un petit boulot pour apprendre à conduire ce genre de véhicule… Et au final, on a eu seulement dix jours pour se préparer, et sur ces dix jours il en a passé huit à conduire. Et vous savez pourquoi il s’en est sorti à merveille ? Parce qu’il n’avait pas le choix, comme nous tous.

À vous entendre, on a l’impression que ce « Give Me Liberty » est à double sens : c’est autant une réflexion sur l’American Dream qu’un message que vous envoyez sur les difficultés que vous avez eu à faire le film.
On a eu beaucoup de mal à trouver ce titre avec Alice, malgré nos nombreuses conversations philosophiques. Et un jour, dans un coffee shop, on a croisé un jeune mécanicien tunisien qui portait un T-Shirt jaune criard, sur lequel il y avait une Statue de la Liberté aux yeux bandés avec l’inscription « Give Me Liberty » (« Give Me Liberty or Give Me Death » est une maxime célèbre de Patrick Henry, acteur majeur de la Guerre d’indépendance américaine, prononcée en 1775k, NDLR). On est allés discuter avec lui et c’est devenu un ami. Il nous a fait une surprise : il a lavé et emballé le T-shirt pour nous l’offrir ! On avait même prévu de le faire apparaître dans une première version du film.

Finalement, votre film a connu une aventure aussi rocambolesque que son héros.
J’ai passé des années à découvrir à aimer les films de Vigo, Godard, Fellini, Tarkovski, Eustache, Ozu, mais ma vie est comme un film de Robert Zemeckis (Retour vers le futur, Forest Gump). Quand on a débuté ce film, tout le monde nous a dit que c’était impossible à produire. Quand on nous a abandonné sur le bord de la route, un producteur nous a dit qu’on était dans une « merde intersidérale ». Quand on a commencé à présenter le film, on nous a dit que c’était un bordel sans nom. Un ami réalisateur, qui a bien plus de succès que moi, m’a dit : « Ton film est très bon, mais ça n’ira jamais à Sundance », sans parler de Cannes… À chaque étape, on nous a regardé de haut, et comme dans un conte américain, on voulait juste avoir la liberté de continuer…

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